Un cabotage (*) de trois mois

    (*) de Giovanni Caboto (1450 - 1498), connu en français sous le nom Jean Cabot et en anglais sous le nom John Cabot. C'est un navigateur et explorateur vénitien au service de l'Angleterre. De dix ans plus âgé que Christophe Colomb, il poursuit la même quête : la recherche de la route maritime des Indes par l'Ouest.

Normandie-Bretagne-îles Scilly

-  ETE 2012  -


    Le projet, je l'avais en tête depuis un moment. J'étais un peu las de la navigation en solitaire, de ne pouvoir partager mes émotions devant les saisissantes beautés entrevues et du sentiment de solitude que j'éprouvais à l'escale quand je n'étais plus accaparé par la marche du bateau. Je caressais donc le rêve que ma femme puisse un jour partager ce que je porte en moi depuis tant d'années, vivre en nomade sur un voilier. La négociation pour qu'elle accepte d'embarquer avec moi sur une longue période fut âpre. Nous parvînmes à un compromis : une navigation côtière de jour, sans vent dépassant force cinq sur une durée de quatre mois. Ces contraintes ont imposé un cabotage le long des côtes de Normandie et de Bretagne à partir de Carentan.
    Le texte qui suit est une suite de lettres adressée aux amis navigateurs et aux autres plus terriens, intitulées « La croisière s'amuse » (titre emprunté à une célèbre série américaine diffusée en France dans les années 80 et dont je n'ai vu aucun épisode).

Carte_Eté_2012.jpg

La croisière s'amuse  - Partie 1 - de Carentan à Granville


    Vendredi 8 juin.
    Salut les amis! Voici quelques nouvelles de Jaoul et de son équipage.

    Départ de Carentan Lundi 28 mai.
    Mouillage devant Tatihou pour passer la nuit.
    Ensuite vent dans le nez pour passer Barfleur et, après Barfleur, le vent vire en même temps que nous et nous reste dans le nez. Donc c'est au moteur que nous sommes parvenus  le soir à Omonville où nous avons passé deux nuits dans l'attente d'un vent favorable pour passer le raz Blanchard.
    Rencontre avec un grand dauphin solitaire le soir au mouillage. Sa nage nonchalante me fait supposer qu'il est peut-être malade. Sa nageoire dorsale présente une large entaille en triangle, nette comme un poinçonnement. Il sera vu, plus-tard, à St Vaast la Hougue.

    Jeudi. 
    Vent d'ouest. Nous partons au moteur.
    J'ai  un vieux coup de doute quand je cherche la bouée cardinale nord Basse-Bréfort qui n'était pas à sa place habituelle, celle qu'elle a sur la carte marine. Je vérifie ma position GPS avec trois relèvements au compas. Mon relèvement confirme le point. C'est Basse-Bréfort qui a dû dériver.
    Moteur jusqu'au travers de la Foraine, le temps de contourner le cap de  Hague et de se trouver suffisamment sud pour que les voiles puissent prendre le vent.
    Devant Carteret des grands dauphins.
Cliquez pour agrandir l'image    Puis nous mouillons devant Port-Bail pour attendre la marée. Les bouées rouge et verte sont encore échouées sur le sable au loin.
    Aux jumelles, je scrute. Les premiers bateaux sortent.
    Quand nous croisons un voilier dont je peux estimer un tirant d'eau égal à celui de Jaoul, je relève l'ancre et embouque sans crainte le chenal parmi le désert de sable.
  A Port-Bail, nous trouvons une ambiance vraiment sympathique comme à chaque fois que nous y faisons escale.
    Un plus cependant : samedi, c'est la fête. Une braderie-puces nautiques participe à l'événement nautique annuel, la course croisière du Challenge des Ecrehou. Nous ne sommes pas sitôt amarrés, avec l'aide d'un plaisancier du coin que celui-ci nous demande d'y participer.
    Nous nous contenterons de regarder les concurrents partir au matin et de les accueillir le soir en aidant à l'amarrage.
    Un Vent d'W 6 nous oblige à rester jusqu'au dimanche soir. Ce qui permet de se promener et de faire quelques photos.

Voici un apercu de l'album photos sur Portbail. Pour accéder à l'album cliquer sur le bouton [:::] ci-dessous.
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    Lancé en 1953, l' ANGELUS, est le dernier cordier, ou bautier, à voute. La pêche aux cordes, appelées baux à Barfleur, qu'il a pratiqué jusque dans les années 70 est une activité ancienne qui reste encore pratiquée aujourd'hui. Des avançons (ou ravelins) sont noués sur les cordes. Les hans ou hameçons, de différentes grosseurs, sont fixés sur le ravelin par deux demi-clés. Les cordes sont lovées dans des maunes, grands paniers en osier.


Cliquez pour agrandir l'image    Lundi départ  pour le havre de Regnéville. La configuration des marées et leur sens nous oblige à attendre la marée montante suivante pour entrer dans le  havre de Règneville.
    A midi, nous faisons escale dans la baie de Ste Catherine (Jersey) pour casser une croute et attendre le flot.
    Un peu avant la pleine mer du soir, nous sommes devant l'entrée du havre.
    Nous mouillons sur ancre devant le village de Régneville.
    Rencontre inopinée de Caroline, la nièce de Michèle, et Fred, son mari, dans leur yole de mer. Ils habitent Agon-Coutainville et rament souvent sur le havre, le soir après le travail quand la marée s'y prète.
    Premier échouage sans béquille. Nous passons la nuit couchés sur le bouchain.
  Au matin, un impressionnant courant de marée  envahit le havre en quelques minutes. L'eau monte  de quatre mètres en 1h20.
 
Cliquez pour agrandir l'image  Deuxième échouage, je mets les béquilles. Jaoul reste droit mais au dernier moment échoue travers au courant. L'eau de jusant fouille sous la coque et creuse une souille. La chaine, l'ancre et la sole des béquilles s'enfouissent. Au flot, je sens que ça risque de mal se passer car Jaoul est travers au courant. Un torrent fouille de nouveau autour de la coque. Au moment du déséchouage, je sens qu'il faut que je remonte les béquilles sur l'arrière en défaisant le garant d'avant et souquant celui d'arrière. Je commets l'erreur de commencer par la béquille exposée au courant qui est facile à relever. Tandis que Jaoul flotte déjà bien dans sa souille mais avec impossibilité de faire tête au courant, il se met à peser sur la béquille sous le courant. Le garant avant libre, je tourne le garant arrière au winch et force comme un malade pour la remonter. J'y parviens  en même temps que Jaoul pivote poupe face au courant. La béquille est cintrée et la chaine enroulée autour la tend à l'horizontale perpendiculaire à l'axe du bateau. J'ai juste le temps de libérer la béquille de la chaine avant que tout soit arraché.
    Bilan: une béquille cintrée, une fixation de béquille tordue, un rail de fargue qui présente une déformation au trou de fixation. J'ai redressé l'axe et retourné la béquille de façon à ce que le cintre écarte la béquille vers l'extérieur. C'est, par chance, un cintre modéré de 10 à 15 degrés.
    L'échouage suivant, je n'ai pas remis les béquilles. Jaoul s'est de nouveau échoué travers au courant et notre nuit fût penchée.
    De cette déconvenue, j'en tire une leçon: pas de béquillage dans les endroits à fort courant. Ou s'assurer avant en mettant un mouillage arrière que le bateau reste dans l'axe du courant. Ce qui est loin d'être évident même avec un mouillage arrière souqué. Cependant, rien de tout ça quand on a un dériveur intégral ou un biquille.
Cliquez pour agrandir l'image    Il faut savoir qu'au mouillage côté Règneville, on ne peut accèder au village à marée basse car la Sienne coule au pied du débarcadère. A marée haute, on ne dispose que de deux heures autour de la pleine mer pour se promener en annexe. On peut avec le flot remonter la Sienne jusqu'au vieux pont et redescendre avec le jusant.
    Nous voulions faire cette promenade mais une annonce de force neuf  (qui n'a pas eu lieu) pour le vendredi nous fait fuir pour nous réfugier à Granville.
    Des amis nous ont expliqué plus tard  qu'il vaut mieux échouer du côté d'Agon car le courant y est bien moins fort.

    Mercredi 6 juin.
    Nous quittons le havre de Régneville.  Je réduis la toile à deux ris et renvoie le tout plusieurs fois de suite, tant le temps est instable. Succession de soleil et de temps gris. Chausey là-bas. Mouillage dans le clapot devant Granville pour attendre qu'il y ait un mètre d'eau au-dessus du seuil pour entrer. Nous sommes beaucoup de navires à vouloir entrer.
 
    Jeudi 7 juin.
    Cette nuit, ça a soufflé dur et j'ai été obligé de doubler les amarres tant on était secoués au ponton Visiteurs. J'attends une embellie durable pour aller mouiller à Chausey, pour ne pas faire subir à Michèle des nuits agitées dans le Sound. Sinon, je vais entendre parler du pays. Il me semble que la saison va rester rude cette année.
    Dans l'attente de cette embellie, nous profitons du temps libre pour flâner, compléter la cambuse et inviter Caroline et Fred à bord, nos rameurs entrevus à Régneville.
 
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La Cancalaise sort du port
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Rencontre à Granville
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Le Marité à Granville

    Après Chausey, ce sera les Hébihens, puis Bréhat ou nous comptons rester plusieurs jours. Amitiés à vous les amis, bon vent et bonne croisière!
 
Régis et Michèle




La croisière s'amuse  -  Partie 2 - de Granville à Bréhat


    Mardi 26 juin.
    Salut les amis ! Certains auront cette lettre une fois rentrés d'Irlande, d'autres juste avant d'y aller, d'autres encore dans leur douillet chez-soi.

    Ce jour est le dernier de nos huit jours à Bréhat, à l'échouage dans la Corderie. Demain, nous levons l'ancre pour nous rendre à Port Bugueles, un mouillage près de Port-Blanc que nous préférons à celui-ci pour cause de gratuité. En effet, à Port-Blanc, ils ont collé 200 bouées payantes de manière à rendre le mouillage sur ancre impossible. Ce n'est pas dit que nous y resterons car nous ne connaissons pas l'endroit. Sinon, l'étape suivante sera Ploumanac'h en échouage près de l'ile Renote, côté Trégastel.
Cliquez pour agrandir l'image A la Corderie, nous avons deux périodes pour débarquer : marée haute avec l'annexe, d'une heure avant PM à une heure après (pas plus sinon on traîne l'annexe dans la vase pour embarquer et c'est galère). Laps de temps suffisant pour aller faire des courses au bourg quand l'heure de la marée tombe dans le temps d'ouverture des boutiques, évidemment. Sinon, pour une ballade de plusieurs heures, c'est autour de basse mer que ça se calcule, Jaoul au sec : deux heures trente avant BM à deux heures après (1heure après BM pour Michèle, et c'est déjà trop).  A chaque marée basse, nous avons pu développer une technique pour éviter de s'enfoncer dans la vase et d'y laisser les bottes : l'art du pas chassé. Il s'agit de courir à petits pas sur la vase avec les pieds à angle droit, à la Charlot, au pas de patineur. Nous avons observé que la marche normale pieds parallèles, pas enroulé, ne permet pas de dégager facilement le talon qui fait ventouse, alors qu'il est plus facile de dégager le pied sur le côté, talon et pointe en même temps. Ceci pour gagner la zone de fucus vésiculeux la plus proche qui garantit un enfoncement bien moindre et une adhérence réduite, trop réduite parfois sur les rochers glissants.
   
Cliquez pour agrandir l'image    Bréhat, des maisons bretonnes dans un jardin botanique, des fleurs à profusion sur les murs, dans les jardins, sur la lande : vipérines des Canaries, sorte de cône de fleurs bleues de près de trois mètres de hauteur, agapanthes, genêts à balai et bien d'autres plantes aux fleurs colorées.  Des oiseaux aussi, effrontés pinsons et moineaux qui viennent te piquer ta crêpe  dans ton assiette et sous tes yeux. 
Cliquez pour agrandir l'image  Des tadornes avec leur poussin qui pâturent dans les flaques en lisière de l'eau en remontant la grève au rythme de la marée qui monte. On voit aussi mulets et crabes remonter avec le flot quand l'eau claire n'est pas brouillée par le moindre souffle d'air.
  Des maraîchers qui font confiance à leurs clients au point de laisser l'étal sans surveillance.

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Cliquez pour agrandir l'image    Avant, c'était les Hébihens.
    C'était bien!
    À l'extrémité de la Pointe du Chevet, l'île des Hébihens, accessible à marée basse, s'accroche à Saint-Jacut de la mer par une langue de sable. Son nom est une francisation du nom breton « enez bihan » qui signifie « petite île ».
    Mouillés devant une plage de sable. On marchait pieds nus sur la grève. On goûtait les huîtres à même le rocher. On allait, à marée basse, à St Jacut. Etendues de sable ridé, étendues de sable constellées de tortillons, marcher dessus me terrorisait étant petit. Plaisir de se tenir au pied des perches cardinales et passer en marchant à l'est ou à l'ouest à rebours du sens du voyant. Mais la permission ne dure pas : trois heures autour de la basse mer. Puis chemins creux sur l'île parmi les cyprès centenaires sculptés par le vent. Les petits culs blancs des lapins qui fuient à notre approche.
    Nous sommes restés trois jours avec deux jours de soleil. Un vent d'est nous en a fait fuir pour cause de clapot mais aussi pour profiter d'un vent portant pour rallier Bréhat.
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Fenètre vers St Jacut
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Maison des Hébihens
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Maison depuis Jaoul
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Jaoul devant la plage
des Hébihens
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On passe à pieds secs


    Aux îles Chausey, nous avons eu une journée de plein soleil, une autre mâtinée de grisaille et une troisième de plein soleil, mais malheureusement écourtée par une annonce de grand frais de suroît qui n'aurait pas rendu notre mouillage confortable. Nous avons fui vers St Malo. J'ai regretté de n'avoir pas pu explorer l'archipel, tenté d'autres mouillages.
    Cependant, il nous reste le souvenir de notre arrivée dans l'archipel en compagnie de la Cancalaise, l'une des deux bisquines qui servaient autrefois à la drague des huîtres dans la baie du Mont Saint-Michel et d'une belle balade sur Maîtresse île.

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    Ensuite, nous avons rejoint St Malo en passant par le délicat passage de la Bigne. Nous sommes passés devant le havre de Rothéneuf ou j'aurais bien aimé échouer, mais on est en morte eau et il n'y a pas assez d'eau pour entrer. J'ai navigué avec précision uniquement grâce à la cartographie électronique parce que je n'arrivais pas à voir les amers trop lointains, comme une villa remarquable parmi les autres sur le rivage de Dinard.



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     Vers 538 un clerc venant du Pays de Galles du nom de Mac Low, ou Maclou, compagnon de St Brandan, débarqua sur l'île de Cézembre située en face de la cité, pour aller rejoindre l'ermite Aaron sur l'îlot rocheux d'en face nommé Kalnach, qui allait bientôt porter son nom et sur lequel la ville de Saint-Malo se développa. Lorsque Aaron mourut, Maclou revint à Aleth et devint en 590 le premier évêque de la cité qu'il releva de ses ruines. Entré en conflit avec les Aletins, Malo quitta la ville pour Saintes où il mourut un 15 novembre vers l'an 621. Ses reliques seront translatées à la cathédrale d'Alet en 672, avant d'être dispersées au Xe siècle lors des invasions normandes.


    Un séjour de cinq jours à la marina des Bas-Sablons, loin de la cité de St Malo et du ravitaillement, proche de  l'appontement des ferries qui tournent la nuit comme le jour, n'a rien de passionnant et n'avait d'intérêt autre que d'attendre un jour de vent plus maniable et de recoudre le génois dont une laize se déchirait près de la chute. Cependant, nous avons apprécié la visite de St Servan, le rivage de l'estuaire de la Rance avec l'anse Solidor et la Cité d'Aleth.
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Pieux à St Malo
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L'anse Solidor
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La cale St Père
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La tour Solidor
 
La suite au prochain numéro.
    Amicalement,
      Régis et Michèle.




La croisière s'amuse - partie 3 - de Bréhat à l'île de Batz

    Lundi 16 juillet.
    Salut les amis, nous sommes mouillés, ce jour dans Porz Kernoc, le port de l'Ile de Batz, en face Roscoff, et ceci depuis jeudi 5 juillet. Un peu plus de dix jours sans bouger le bateau et voilà que ça me démange de lever l'ancre. Mais reprenons :

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    Mercredi 27 juin.
    Nous quittons Bréhat vers 10h30, soit à mi-marée montante, pour espérer arriver à Port Buguéles avant mi-marée descendante. D'habitude, on part à marée haute pour profiter du jusant qui porte à l'ouest. Mais là, la petite distance de 19 milles à parcourir et l'horaire des marées du jour font que nous n'avons pas d'autre choix.
    Pour prendre le chenal de la Moisie et raccourcir la route de trois milles il faut suivre l'alignement arrière de l'amer du Rosédo par le clocher de la chapelle St Michel. Mais, aujourd'hui, c'est bouché par un petit crachin. Nous allons donc contourner le plateau des Sirlots et passer au nord des Héauts de Bréhat. Nous avons choisi ce jour, car la météo donnait du nord-est. Une petite fenêtre d'un jour qu'il faut exploiter avant le retour du sempiternel vent d'ouest qu'on a sur le nez quand c'est précisément dans l'ouest qu'on veut aller. Nous passons les Héauts sans les voir ; nous ne voyons les bouées que lorsque nous sommes dessus. Quelques bateaux à l'embouchure du Jaudy, la rivière de Tréguier. Puis ça se lève et les cailloux qu'on voit sur la carte sont là tout près, à effrayer Michèle. L'entrée de Buguéles ne pose pas de problème, il suffit de coller, mais pas trop, aux bouées vertes. A 15 heures, nous jetons l'ancre en bordure de la zone de mouillage occupée par les locaux. Nous sommes le seul voilier en visite et nous le resterons.

    Je note : le bateau touche à 16h30 ; à sec à 17h40 (je descends pour bien positionner l'ancre et l'enfouir, plaisir de marcher pieds nus sur le sable mouillé, voir comment c'est plus loin); retour de l'eau à 20h20 ; flotte à 21h15. Ce qui donne à peu près un délai de 7 heures au plus autour de haute mer pour aller à terre en annexe, se promener, et revenir au bateau, et de 5 heures au moins (sans pouvoir revenir au bateau avec l'annexe, sauf à la rouler sur une longue distance) autour de basse mer. Le temps d'échouage diminuera et tombera à guère plus de deux heures quelques jours plus tard.

 
    Jeudi 28 juin.
    Nous allons à Port Blanc à pieds sur la grève. De l'anse de Gouermel à, Port Blanc, cinq iles plantées de jolies maisons et d'arbres centenaires reliées par des chemins de galets qu'on emprunte à marée basse, et des îlots. Entre les îles, des anses, des criques, quelques épaves, des barques et canots à l'échouage. Et un moulin à marée au toit de tuiles rouge entre l'île Ozac'h et l'île Balanec.

    
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Entre Port Blanc et Port Bugélès
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Un moulin à marée
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Une épave à Port Bugélès
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Une maison à Port Bugélès
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Port Blanc
    Vendredi 29 juin.
    Il n'y a rien à Port Buguéles, à Port Blanc non plus d'ailleurs, à part une cale avec un robinet d'eau potable, un râtelier d'annexes colorées en haut qu'on remarque de très loin. Des villas, encore des villas, la plupart inoccupées. Le bourg, Penvenan, est 4 kms. On débarque les vélos pliants et nous voilà partis faire les courses vent debout. On revient avec les sacs-à-dos pleins, lourds de packs d'eau minérale, packs de lait, fromage, beurre, viande, confiture, pains, ficelés sur les vélos, ça pèse moins que sur le dos. Le retour est plus facile, vent dans le dos et descente mais mon vélo n'a plus de frein à l'avant et celui de l'arrière ne se desserre plus quand je le serre. C'est problématique mais j'y arrive.
    Les victuailles, les vélos et l'annexe est pleine. Retour au bateau. Hisser le tout à bord, ranger les vélos, les victuailles. On est fatigués mais content de cette journée.

    Dimanche 1er juillet.
    Une fenêtre météo s'est entrouverte. Une promesse de temps variable 2à3 dans le golfe de St Malo rassure Michèle. Mais où sont les limites de ce fameux golfe, dont on ne voit nulle part la définition géographique ? Nous décidons de partir pour Ploumanac'h.
    Départ 7h 30 soit 3 heures avant basse mer. On a un vent de force 4 à 5 de suroît. Nous tirons un long bord au noroît pour doubler les Sept-Îles, cap 290°, puis un autre bord cap 180° sur Trégastel, puis on abat sur Ploumanac'h. Ce deuxième bord convient mieux à Michèle qui lors du premier, à cause de la houle, nous voyait déjà en perdition dans la « tempête ».
    Devant les rochers roses de la côte, j'ai hésité entre le chenal de l'île Renote non balisé qui s'ouvre sur une plus grande place pour l'échouage ou celui de Ploumanac'h qui est balisé, mais offrant une place réduite d'échouage : entre les rochers devant le château de Costaéres.
    Nous tentons une approche. Des pavetons partout et la houle qui brise dessus. Trop tôt pour entrer. Nous mettons en panne et le temps d'un déjeuner, nous dérivons vers Perros-Guirec.
    Soleil et vent froid.
   
    A 13 heures 30, nous entrons. Derrière l'île de Costaéres, on quitte le chenal et nous nous hasardons (au moteur, forcément) entre deux séries de rochers. L'eau est claire. On jette l'ancre au milieu. Nous n'avons pas voulu prendre une bouée que je juge trop près des rochers. Mais nous la prendrons en complément de notre mouillage. Ce qui aura pour effet de diminuer le cercle d'évitage du bateau. A la basse mer du soir, je remets de la chaîne et replace l'ancre en l'enfouissant. Un coup d'œil sur la chaîne qui relie la bouée à son coffre de béton pour voir qu'elle est bien usée et qu'un chaînon peut rompre à tout moment. C'est sur cette bouée même qu'était amarré Shundo un mois auparavant, le bateau de nos amis partis pour l'Espagne
Cliquez pour agrandir l'image    Ce mouillage est très agréable, bien abrité du clapot. A marée haute, nous voyons les voiliers sortir du port, y rentrer, nous sommes les témoins de l'animation du port. A marée basse nous sommes blottis dans les rochers qui nous isolent du monde. Nous pouvons descendre du bateau et arpenter notre jardin.
    L'œil de la tortue nous renseigne sur l'avancée de la marée. Nous avons nommé les figures étranges que dessinent ces rochers de granit rose. Tout à côté de nous, une tortue semble se faire couvrir par un babouin. Plus loin, de l'autre côté du chenal, c'est un type avec une casquette qui scrute l'horizon. Vers Costaéres, un gros ours mal dégrossi lutine une chienne élégante. Curieusement, Michèle voit d'autres formes, moins lubriques. Je ne sais pas, ça doit être l'âge.
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    Pour aller à Ploumanac'h, vaut mieux prendre l'annexe, c'est plus simple. Et pour cela, il faut de l'eau. Chaque sortie fait donc l'objet d'un calcul soigneux pour déterminer les heures praticables. On débarque à la cale du port. Une barrière automatique oblige une ponction sur la carte bleue pour les mises à l'eau. En arrivant par la mer, on y échappe. Pas de robinet sur les quais. Seulement des bornes équipées d'un embout spécial qu'il faut aller emprunter à la capitainerie moyennant le paiement d'une nuit de séjour. 32 euros pour un bateau de 11 mètres, sur bouées : promiscuité, bruit des voitures, des vedettes de promenades qui crachent par haut-parleurs leur litanie aux touristes, tandis que nous, à deux cents mètres en aval, on est tranquille dans la gratuité de la nature. L'endroit n'a pas été constellé de bouées pour le racket du navigateur par la municipalité de Perros-Guirec, puisqu'il est sis sur la commune de Trégastel qui, semble-t'il, a d'autres chats à fouetter.
    Visite de la corniche de granit rose. De chaque côté du chemin, un fil de fer canalise le promeneur. Tous les dix mètres une fiche sur une borne rappelle qu'on ne doit pas quitter le sentier, que les rochers sont glissants et que monter dessus comporte des risques qui ne seront pas couvert par les aménageurs. Le site est magnifique, c'est sûr, mais l'aménagement bêtifie, infantilise. Nous n'y retournerons pas.
    Au supermarché de Trégastel, le ravitaillement. Conçu pour y accéder en voiture, à pieds nous nous sentons un peu gauche. A l'entrée nous sommes obligés de confier nos sacs-à-dos à une hôtesse qui nous dit que nous les récupérerons après nos courses. Mais arrivés en caisse, panique ! Rien pour mettre nos courses. Je cours à l'accueil, l'hôtesse est avec un client. Nos courses encombrent la caisse. Nos sacs enfin récupérés, il faut y placer la marchandise et ça prend encore du temps. La file s'étend, l'impatience devient palpable. On en ressort chargés comme des mules. C'est l'eau minérale qui pèse le plus. Quand on arrive au port pour reprendre l'annexe, on a l'impression d'avoir les fémurs remontés à l'intérieur du corps

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    Jeudi 5 juillet.
    Départ de Ploumanac'h à 9h30.Vent de sud. Encore une fenêtre météo favorable qui ne durera que le temps d'arriver au près bon plein à la pointe de Primel, à l'entrée de la baie de Morlaix où une pluie battante va nous saisir et un vent nous prendre à contre avant de s'évanouir.
    Marée basse, coefficient 99. Il n'y a plus assez d'eau dans le passage à terre de l'île de Batz. Nous mouillons trois heures durant. La pluie lourde nous trempe. A 19 heures, l'ancre tombe dans le port de l'île de Batz.

    Vendredi 6 juillet.
    Marée basse. Je tire 10m de chaine et replace mon ancre.

    Samedi 7 juillet.
    8heures. Je suis encore sur ma couchette quand j'entends frapper sur la coque. Je me lève d'un coup et gicle dehors en pyjama et sans mes lunettes. Un type braille depuis la plage : « Le bateau chasse ». Celui qui frappe tente de déborder Jaoul qui s'est vautré sur son bateau, un Mousquetaire qui se rend à Brest pour le rassemblement de vieux gréements. La pluie et le vent. Je suis trempé d'un coup. Je mets le moteur. Michèle tente de remonter le mouillage. Mais la retenue qui amortit la chaîne, empêche. Je tente de remonter au vent en marche arrière, et le moteur cale. Je pense à un bout pris dans l'hélice. Jaoul s'immobilise avant de toucher la plage, travers au vent. Un vent, imprévu, qui a monté dans la nuit et qui souffle sept en rafales. Il ne bougera plus, amarré par l'hélice. Mais je mets quand même l'annexe à l'eau pour porter une ancre légère à 50 mètres au vent et assurer le bateau. Je remonte les béquilles pour que Jaoul gité ne pèse dessus.
Cliquez pour agrandir l'image    A marée basse, Jaoul est couché. Un orin de 24 mm, relié à une chaine de 22, est serré autour de l'arbre d'hélice. Je remonte mes mouillages, défait l'orin et va l'amarrer à l'étrave. C'est l'amarrage d'une vedette à passagers.
    Le soir le propriétaire du mouillage passe, s'inquiète pour son orin, et me dis que je peux rester amarré dessus. Une vedette prend son mouillage plus loin. Son capitaine passe me voir, ensuite, pour me demander de remonter le mouillage jusqu'à la chaîne afin de raccourcir au maximum le cercle d'évitage et de passer ma propre amarre dessus afin d'éviter d'user l'orin (de 24mm). Je m'exécute. Mais pour remonter une chaine de 25, faite pour les gros bateaux, c'est chose quasi-impossible. J'y parviens quand même, à l'aide du winch de mât, passe mon amarre de 16mm dans le premier chaînon et laisse retomber la chaîne au fond car je crains de casser mon davier si je la garde sous l'étrave.
    Je me couche le soir vanné.

    Aujourd'hui lundi 16 juillet, mon amarre s'est usée sur la grosse chaîne. J'ai dû la couper en deux. Je ne suis plus mouillé que sur l'orin de 24mm. Je crois que les marins des vedettes ont pris Jaoul pour l'une d'entre elles. Pourtant, au point de vue du gabarit, on ne joue pas dans la même cour. Et ça se voit.
    J'étais mouillé court (15m), mais ici on est tous mouillé court et Jaoul est le seul à avoir chassé, un des seul aussi à mouiller sur ancre soc de charrue. Dans ce sol de sable et vase, l'ancre plate semble tenir mieux.

Cliquez pour agrandir l'image    J'ai retrouvé les tricoteuses au banc devant la cale et Marie, une figure de l'île. J'avais beaucoup bavardé avec elles lors de mon premier passage en mai 2010. Quelques-unes sont nées sur l'île, mais aucune n'y est restée. A la retraite, elles y sont revenues. Marie, elle, venue de Lannion à l'âge de seize ans avec son mari y est restée.
    Marie Coatleven, 85 ans, 10 enfants et ne sait plus combien de petits et d'arrières petits-enfants. Elle habite dans la rue qui monte de Porz Kernoc au bourg. Elle est à sa fenêtre, nous l'avons rencontrée longuement hier mais elle ne se souvient plus. Elle parle avec entrain du temps passé, de la dureté de sa vie à élever ses enfants avec si peu d'argent. Mariée à quinze ans, premier enfant à seize. Elle raconte, avec son mari quand elle allait au lichen aux Sept-Iles. Un jour de tempête, pour ne pas couler, ils balancent à la mer la récolte durement arrachée aux rochers. Elle rit : « On s'en est sorti », dit-elle fièrement. Son mari avait réussi à acquérir un bateau. Il armait au goémon. Il est mort à 37 ans. Les ainés ont pris la suite du père pour faire vivre la famille. Marie, à son contact, on est traversé par sa force et sa joie de vivre. Elle est parvenue à acquérir une petite maison pour y élever ses enfants. Sa tâche est terminée, elle se repose heureuse de l'avoir menée à bien. Les siens sont attentifs, surtout Linette : « Mamie, tu es sûre de n'avoir besoin de rien ? Non, rien de rien ! répond-elle ». Mais si Marie, tu as juste besoin qu'on te pose la question. Elle rit, une larme au coin de l'œil : « Ils sont gentils avec moi ! ».
    –Parliez-vous breton ?
    –Seulement avec mon mari quand on voulait que les enfants ne sachent pas. Elle nous dit : « Si vous avez besoin de quelque chose, venez et frappez à ma porte ! » Marie la généreuse.

    Pierre Laouen 87 ans. Petit homme en bottes caoutchouc et casquette de marin. Il est né sur l'île. On le trouve souvent à la cale du Vil qui sert au transport du fret. Il ne sort plus avec son bateau de 5m50 qui était armé à la crevette autrefois, il se contente d'en faire tourner le moteur. Il hésite à s'en séparer. Il a commencé sur les sabliers de Roscoff puis est parti au loin matelot sur les navires de commerce, Marie Louise Schiaffino, sur la ligne Rouen-Alger, puis sur un yacht de luxe en Méditerranée. Il vivait la plupart du temps hors de l'île loin de sa femme et de ses enfants, jusqu'à ce qu'il acquiert son bateau pour la crevette. « Ça marchait bien, dit-il, mais depuis l'Amoco-Cadiz, c'est plus ça ! » Il ajoute : « J'ai perdu ma femme en 2006. Seul, c'est difficile ! Faire à manger… »
    –Vous avez des enfants ?
    –Ils sont mort tous les deux, un par l'alcool et l'autre d'une maladie des nerfs.
    –Des petits enfants ?
    –Oui, j'en ai un qui travaille à la ferme, vous savez quand on va vers…
    Il a beau nous expliquer où se trouve la ferme dans laquelle travaille son petit-fils, ça nous dit rien, nous ne connaissons pas bien l'île. Pierre nous salue et s'en va vers son bateau. Nous étions assis sur son banc, une planche calée sur deux pierres, à l'abri du vent à regarder les bateaux.
Batz est tournée vers le continent autour de son port : trois goémoniers y échouent ainsi que six ou sept vedettes à passagers. Les bateaux de pêche échouent à la grande cale sud. La côte nord est sauvage. La lande mais aussi des champs. On y cultive des légumes dans une terre sableuse propice aux tubercules et aux racines, principalement en bio.
Cliquez pour agrandir l'image Comme à Bréhat, comme sur les autres îles, les vedettes déversent des flots de touristes, mais ici, comme à Ouessant, à Sein, il y a une vie qu'on aime. Un calme, des gens qui vous saluent à qui on peut parler. Peu de voitures. Et surtout, pas de racket du visiteur. Les mêmes sentiers littoraux parcourus par les mêmes touristes, sans fils de fer et pancartes bêtifiantes. Ici le paysage est moins beau qu'à Bréhat ou à Ploumanac'h, moins carte postale, mais c'est un paysage à vivre et non à consommer.
    Chaque jour, nous descendons à terre. Sans se soucier de la marée. Il n'y pas loin pour aller à la plage. On part avec l'annexe, soit en la tirant sur ses roulettes, soit en ramant. Quand on fait la mule (c'est ainsi que nous nommons désormais ce qu'on appelle faire les courses), c'est plus facile. Le bourg est à deux pas.
    Le feu d'artifice du 14 juillet a été tiré dans le port, nous étions aux premières loges. Silhouettes des bateaux sur béquilles se découpant sur les lueurs colorées des fusées. Scintillements multipliés par les écailles de l'eau qui monte.

Voici un apercu de l'album photos sur Batz. Pour accéder à l'album cliquer sur le bouton [:::] ci-dessous.
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  Demain, peut-être lèverons nous l'ancre pour aller dans l'Aber Benoit histoire d'attendre le bon moment pour viser Molène. Molène avant Ouessant et Sein. Ou les Scilly plutôt que Ouessant (Lampaul) qui est mal protégé par vent fort de suroît. Or le suroît, maudit soit-il quand on veut progresser vers l'ouest, il souffle depuis plusieurs mois déjà, jamais en dessous de force 4 à 5 avec rafales. Faible il apporte pluie et crachin, fort c'est grand soleil et froidure. Au moment du feu d'artifice, il faisait 13 degrés dehors.

 
A bientôt,
    Régis et Michèle.




La croisière s'amuse - Partie 4 -  De l'ïle de Batz à l'ïle de Sein en passant par les îles Scilly


    Samedi 11 aout.
    Salut les amis,
    nous sommes mouillés, ce jour de dans le port de l'île de Sein face au quai des Français libres.
Cliquez pour agrandir l'image    On est arrivé mardi dernier vers 10 heures. La traversée de la Manche s'est faite au vent de travers à une moyenne de 7nds jusqu'à Ouessant. Trop vite pour Michèle qui voulait une mer plate. On voulait…  non, je voulais Ouessant mais on était de nuit et la baie de Lampaul n'est pas éclairée. J'ai donc visé Sein pour arriver avec le jour. On est arrivé à 10 heures, 24 heures après notre départ de Bryer (Iles Scilly) parce que la pétole (signe de beau temps) est venue sur nous avant le lever du jour. Aprés avoir mouillé l'ancre soc de charrue et quarante mètres de chaîne, j'ai vu Jaoul se déplacer avec le vent pourtant faible. Les fonds sont de mauvaise tenue. Pourtant d'autres voiliers sont sur ancre et ne chassent pas. Quid de l'ancre ? Je vais la remplacer par l'ancre plate qui est au fond du coffre. En attendant, on a pris une bouée libre et sommes tenus par son orin de belle section. Depuis, il fait grand soleil et très chaud. Ce qui fait rappliquer les bateaux. Le nombre a triplé depuis notre arrivée.
    Notre dernière lettre « la croisière s'amuse – partie 3 » nous situait à Batz et il nous faut y revenir pour dérouler notre parcours depuis.


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    Nous avions quitté Batz le samedi 21 juillet après un trop long séjour (selon moi). Mais nous voulions attendre le voilier Oléo qui suivait nos traces depuis Bréhat. Ensuite, le vent d'ouest n'invitait pas au départ vers les Scilly. D'ailleurs, je voulais rejoindre l'Aber Benoit en attendant de pouvoir aller en mer d'Iroise. Ce qui aurait pu se faire même avec de l'Ouest. Les Scilly, elles, avaient été prévues après notre visite en Iroise.
    C'est la venue de Guillaume et Anne-Sophie sur Oléo qui a fait advenir les Scilly d'abord. Michèle rassurée par leur présence et la promesse d'une route ensemble (eux continuant vers l'Irlande)  a accepté de traverser et de passer une nuit en mer. En quittant Batz au moteur, j'ai tout de suite vu que l'orin de 24 serré autour de l'hélice a laissé des séquelles. L'arbre tape dans le tube d'étambot, signe soit d'un vrillage de l'arbre soit d'un désalignement du moteur suite au déchirement ou affaissement d'un des silentblocs. Mais en choisissant un régime moteur adéquat, on ne le fait pas taper. Donc on peut poursuivre notre route. J'attendrais notre retour à Carentan pour réparer.
   
Oléo à Batz
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Pratique un biquille, non ?
Une bonne soirée sur Oléo
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Cliquez pour agrandir l'image    Petit vent de nord à nord-ouest, on fait d'abord une route ouest pour gagner le plus à l'ouest possible puisque ce petit épisode anticyclonique ne va pas durer et les vents d'ouest revenir,  puis  il vire nord à nord-est et faiblit dans la nuit. (Vu le ventre blanc d'un requin sortir de l'eau : un peau-bleue ou un renard de mer.) Nous naviguons à vue avec Oléo. Il est devant nous et nous progressons à la même vitesse. Nous nous parlons de temps en temps par radio VHF. Au lever du soleil, dimanche, Oléo est toujours là, je l'entends mais lui ne m'entend pas, la portée de ma radio est trop courte. Nous avançons à la vitesse de 2nds. C'est peu et à cette allure, on sera obligé de passer une nouvelle nuit en mer, ce qui n'est pas du goût de Michèle. Il est 10 heures quand on met le moteur ; on est parti pour dix heures de bruit lancinant qui font qu'on n'est plus bien en mer et qu'on a pour seule envie, celle d'arriver pour que cela cesse. On arrivera à 20h à St Agnes des Scilly. Quant à Oléo, on ne l'a plus revu. Il avait mis le moteur avant nous.
    Au milieu de la Manche nous avons croisé un superbe trois-mats  polonais.
    St Agnes. On arrive devant The Cove (l'anse en anglais). Michèle en préparant l'ancre, la laisse partir inopinément. On mouille dans 20m d'eau avec des creux d'un mètre. En la relevant, elle se coince dans le davier. Michèle est paniquée. Je laisse la barre pour aller à l'étrave voir ce qui se passe. Et Michèle revient prendre la barre. Mais, elle est tellement paniquée que le bateau fait des embardées et va n'importe où. Je reviens à la barre, pars au large et mets en panne. Avec suffisamment d'eau à courir, je peux tranquillement laisser Jaoul dériver le temps de décoincer l'ancre.
    Le vent revenu à l'ouest comme prévu agite le mouillage. Je décide de contourner la pointe de l'île, l'îlot Gugh, relié à St Agnes par un isthme submersible pour aller mouiller de l'autre côté à Porth Conger. St Agnes a cette particularité d'avoir une plage à double pente. Quand il a de la  houle, c'est curieux d'assister à l'affrontement de deux ressacs opposés, le temps du plain.
    Porth Conger, plus abrité du vent d'ouest oui, mais une légère houle entre. Et, une nuit, quand le vent tombera complètement, Jaoul à l'échouage, n'étant plus tenu par celui-ci, viendra tosser douloureusement sur son ancre. Au matin nous quitterons pour un autre mouillage.

Voici un apercu de l'album photos sur St Agnes des Scilly. Pour accéder à l'album cliquer sur le bouton [:::] ci-dessous.
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    Les Scilly's (ou Sorlingues, en français), un archipel en eau peu profonde, exposé à tous vents et à la houle atlantique, est un lieu difficile pour la navigation car aucun abri n'est sûr. Il faut pouvoir surveiller le temps par l'écoute de la Météo (Weather forecast, en anglais, canal VHF 86) et réagir rapidement pour quitter un abri qui va devenir inconfortable voire dangereux, pour un autre qui convient mieux au temps qui s'annonce.
    Cinq îles sont habitées et consacrées entièrement aux vacances. Sur l'une d'entre elle, Tresco, cette industrie rationnalisée la fait ressembler plus à un club Mediterrannée qu'à un village de Cornouailles. L'île principale est St Mary's. Elle sert de plate-forme logistique pour tout l'archipel. Cependant, malgré le monde en été, il est agréable de s'y promener. Il y a des champs qui servent à nourrir, en partie je suppose, la population. Malgré cette industrie vacancière, les îles ne sont pas dénaturées et le caractère sauvage demeure. On apprécie (sauf à St Mary) l'absence de voiture. Mais il faut faire attention aux vélos, surtout quand ils sont montés par des gamins fougueux.
Carte-des_Scilly_Eté_2012.jpg
Cliquez pour agrandir l'image    Après St Agnès,  nous avons mouillés à Porth Cressa (St Mary). C'est là que nous referons l'avitaillement de Jaoul.
    Nous avons noté la nouvelle installation de 15 bouées payantes (18£ ou 20€ la nuit). Ce n'est qu'un début, me semble-t'il, car il y a fort à parier que les années suivantes, elles vont proliférer jusqu'à couvrir tout l'espace au point qu'il ne sera plus possible de mouiller sur ancre (les espaces de liberté se réduisent partout). Un pêcheur est venu nous proposer des homards (5£50/kilo ; 1£ = 1€20). On s'est régalé. 

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L'entrée de Porth Cressa
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Vers le fond de Porth Cressa
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Jaoul ancré à Porth Cressa
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Le port de Ste Mary's


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Cliquez pour agrandir l'image                                                                                                                                                                             
    Puis on est allé boire un verre à l'incontournable  Mermaid Tavern aussi célèbre pour les marins que "Chez  Peter" à Horta (Açores) en respectant les règles ci-dessous, bien entendu.
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    Durant notre séjour à St Mary's, nous avons rencontré avec bonheur Thierry sur son bateau Farfa II grâce à son immense  pavillon "HéO" (logo du site internet Hissez-Oh). Je connaissais Thierry sans l'avoir vu, depuis un moment car, sur ce site de voileux, nous avions échangé des points de vue. C'est un amoureux de la baie de Seine et ça m'avait semblé si étrange, moi qui n'aime pas croiser dans ces parages,  que cette singularité m'avait tout de suite attiré. Nous l'avons retrouvé à Old Grimsby harbour, quelques jours plus tard, puis il est allé explorer l'île de St Marteen quand nous, nous sommes partis contourner  l'île de Tresco pour aller mouiller devant l'ïle de Bryer.

Voici un apercu de l'album photos sur St Mary des Scilly. Pour accéder à l'album cliquer sur le bouton [:::] ci-dessous.
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    Ensuite, on a levé l'ancre pour aller visiter Tresco et mouillé sur la côte est de l'île (Old Grimsby Sound). L'eau est turquoise, les sables blanc et les têtes de roches bien cachées. Pour naviguer dans ce coin, il faut suivre les alignements avec précision. Le mouillage est un peu rouleur mais bien abrité des vents du secteur ouest.
    C'est là que nous avons rencontré nos amis de Carentan, Patrick et Nelly, mouillés de l'autre côté de Tresco.
    Nous avons fini notre séjour par un échouage dans New Grimsby Sound sur une vaste plage de Bryer à côté de Stereden Vad, le bateau de Nelly et de Patrick. Nous avons passés de bons moments ensemble à nous promener sur les îles, à déguster les crevettes que Patrick pêchait chaque jour en abondance, à manger un bon « fish and ships » sur Tresco.

Voici un apercu des albums photos sur les îles de Tresco et de Bryer aux Scilly. Pour accéder à un album cliquer sur le bouton [:::] ci-dessous.
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Tresco
Images de Tresco
Bryer
Images de Bryer
    Les anglais en vacances sont très sympathiques et nous saluent au passage. Nous avons eu l'occasion d'entreprendre, avec plaisir, des conversations avec certains d'entre eux.

    Durant notre séjour aux Scilly, le soleil a brillé la plupart du temps avec un ciel bleu profond. On ne peut pas dire qu'on a eu la canicule car le vent frais était assez fort allant du nord-ouest au sud-ouest. On prenait toujours une petite laine avec nous au cas où. Il a plu juste le jour où l'on est passé en mer ouverte par le nord de Tresco pour rejoindre Bryer. La visibilité était réduite et la houle de nord-ouest était creuse et moussait sur les rochers. Michèle était paniquée. Mais ce fût de courte durée.
      Steredenn Vad et Jaoul ont quitté Bryer et les Scilly le lundi 6 août vers 10 heures du matin avec pour destination respective , Roscoff-Batz et Ouessant-Sein. Nous avons navigué un moment de conserve histoire de prendre en photos nos bateaux sous voiles.
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    Revenons à présent à Sein, aujourd'hui samedi 11 aout 2012.
    Mouillés sur ancre de nouveau car on vient de se faire déloger par le propriétaire de la bouée sur laquelle on était amarré depuis mardi.
    Nous sommes restés sur le bateau mardi et mercredi, afin de goûter enfin à l'été, et de se refaire une apparence décente avant de descendre à terre faire nos courses et rendre visite à Danièle.
    J'avais rencontré Danièle en mai 2009, lors de ma première venue à Sein avec Jaoul. J'étais seul et elle m'avait accueilli. J'étais revenu en septembre. Nous nous étions dit nos vies et nos espérances, confiés nos intimités. Par elle et par ses amis sur l'île, elle m'avait permis d'accéder à un nouveau territoire autrement que par la seule contemplation du paysage.
    Jeudi, nous allons à terre pour faire les courses. Sacs-à-dos pleins, nous allons chez Danièle avant de retourner au bateau. La porte est grande ouverte, signe de sa présence sur l'île. J'appelle. Elle n'est pas chez elle. Je ne m'inquiète pas, elle ne doit pas être bien loin, nous allons la rencontrer au détour d'une ruelle. Nous rentrons au bateau ranger nos courses. L'après-midi, nous retournons chez Danièle allégés de nos fardeaux du matin. Je frappe à la porte grande ouverte et appelle. Personne ne répond. Sur la table de la cuisine, un paquet de feuilles de cigarettes, du tabac à rouler et un briquet. Je souris, Danièle n'est vraiment pas loin. Je pense à elle causant avec les uns et les autres, elle va arriver ou quelqu'un va nous dire où la trouver, c'est sûr! Une jeune femme descend la ruelle à notre rencontre. J'ai pensé soudain à une locataire. Danièle aurait loué sa maison? Elle nous demande ce que nous cherchons. Nous nous expliquons. La locataire, c'est Fanny, sa plus jeune fille. Elle nous annonce que Danièle est morte le 16 juillet dernier des suites d'un cancer des poumons contracté seize mois plus tôt. Elle avait soixante-cinq ans. Nous cherchons à en savoir plus, mais la jeune femme, pressée d'aller à la plage, s'excuse et nous laisse en plan. Michèle aurait voulu la connaître, moi j'aurais voulu parler d'elle, la faire revivre en moi, histoire d'atténuer ce que je ressens. Et ce que je ressens depuis, c'est l'inconcevable, l'irréalité de l'annonce puisque son absence même de la maison ouverte et les traces laissées me disaient sa présence.
Cliquez pour agrandir l'image    Je mesure l'importance que cette femme avait pour moi. Pourtant, nous ne nous sommes pas vus souvent. J'ai du chagrin
    Un pont entre moi et l'île s'est rompu. J'en cherche d'autres. Son amie Christine a vendu son restaurant et quitté l'île. Reste Michel Bataillard, son ami photographe et éditeur d'un livre sur Sein et les Sénans que j'avais rencontré chez elle, dès mon premier séjour. Il m'avait parlé de son travail. Il me renvoyait à mes désirs de créativité dans ce même domaine de l'image et de l'écrit. J'envisageais d'apprendre à me servir d'un logiciel de conception de textes illustrés en vue d'une publication; il me proposa de passer trois semaines à Sein, chez lui, le temps de me former en échange d'une croisière sur Jaoul. L'idée était séduisante mais irréalisable car je n'étais pas encore en retraite à cette époque et ne disposait donc pas d'assez de temps.
    Mais Michel n'est pas là, pour parler de Danièle, de Sein. Il n'habite plus sur l'île.
    Danièle et ses amis sont la raison d'être du voyageur au même titre que mon ami Christian que j'ai visité l'année dernière à Bordeaux, que Suzanne et ses quatre enfants qui m'ont accueillis dans leur maison sur l'île d' Inishmeane près de Gola Island, Donegal, lors de mon passage en 2009. Ils sont les prolongements qui permettent de voir et de sentir la vie au-delà du paysage, d'être chez soi chez les autres sans les envahir. Sans l'accueil de ses personnes, le voyage n'est qu'une collection de paysages et le voyageur, un touriste.
   
    Le soleil brille, il fait chaud; la vie continue, la croisière aussi. Demain, nous débarquerons de nouveau sur l'île.
    Lundi 13 août.
    Hier nous avons remouillé avec deux ancres affourchées car le fond n'est pas de bonne tenue, en vue d'un vent de force six la nuit. Nous avons aussi repéré un coin pour nous échouer près du village de manière à mieux goûter l'ambiance villageoise d'ici.

    Mardi 14 août.
    Nous sommes depuis hier, sur cette plage du port de Sein à côté de ce bateau de voyage bien sympathique avec à bord, un couple trois enfants et un chien (qui sait monter à bord avec l'échelle). Il rentre d'une virée en Espagne. Nous avons vraiment pu, hier, goûter à la quiétude du lieu, et renforcer l'amarrage du bateau en prévision du coup de vent à venir.
Cliquez pour agrandir l'image    C'était bien d'en profiter, car aujourd'hui, changement de décor. Il pleut et le vent souffle travers au bateau. Et ça va forcir et durer deux jours (en principe).
    Notre fille Julie doit venir nous rejoindre dans quelques jours. Nous l'attendons et nous sommes en recherche d'un robinet d'eau pour compléter notre réserve qui s'amenuise. Nous vivons dessus depuis St Malo, donc depuis deux mois. Nous apprenons à économiser l'eau douce et nous en sommes à consommer un peu moins de 7 litres par jour. Nous utilisons l'eau de mer pour nous laver et laver nos vêtements. Seul le dernier rinçage se fait à l'eau douce. Mais à Sein, l'eau est rationnée. Il ne faut pas compter refaire le plein.
    Avec Julie à bord, nous irons probablement à Bénodet refaire le plein d'eau avant d'aller aux Glénan (si le temps le permet), Julie ne se contentera sûrement pas de notre consommation d'eau de Sahariens.

   
A bientôt,
    Régis et Michèle.




La croisière s'amuse - Partie 5 - de l'Ile de Sein à Carentan en passant par les îles de Glénan


    Carentan, le 12 septembre 2012.
    Chers amis, Jaoul tire sur ses amarres à sa place au ponton à Carentan depuis samedi premier septembre, en début d'après-midi. J'ai peine à écrire cette dernière partie de notre virée car la plupart  de  nos amis ont eu le récit de vive voix, soit par Michèle ou bien par moi.

    La dernière fois, nous étions en train d'attendre l'arrivée de Julie venue  nous  rejoindre à Sein.


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    Tandis que nous l'attendions, un coup de vent de secteur sud était annoncé. J'avais sorti le grand jeu, c'est-à-dire les quatre ancres que possède le bateau, une mouillée en avant, une en arrière et deux latéralement côté bâbord afin de maintenir Jaoul travers au vent, malgré l'importante prise au vent à laquelle cette position expose. Plus deux amarres avant portées à terre. Ainsi harnaché, Jaoul ne devrait pas bouger.
    Mercredi 15 août.
    Ça a soufflé toute la nuit et malgré quelques levers pour vérifier que Jaoul ne chasse pas, j'ai dormi comme un loir. Ce qui n'est pas le cas de Michèle, perpétuellement inquiète. Au matin, à marée basse, j'ai la surprise de voir que Warvale, la jonque de nos voisins est toute proche de Jaoul.
    Je suis tellement sûr d'avoir chassé dans la nuit, que j'en parle à Gilles. Il me dit, non, c'est moi qui ai chassé. En allant inspecter mes ancres, je sais qu'il dit vrai. Mais comment  expliquer  que  son  bateau  sous  le  vent  du  mien  ait  chassé  vers  lui ?  Courant contraire ? Saute de vent brutale ? Inexplicable bizarrerie de la mécanique des fluides.


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    Jeudi 16 août.
    Arrivée de Julie, notre fille cadette.  Il pleut et  vente à souhait. Tandis que nous guettons l'arrivée de l'Enez Sun, la navette qui vient d'Audierne, un grand dauphin solitaire (tursiops truncatus) vient se baguenauder entre Warvale et Jaoul.

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    Il nous offre le spectacle de sa totale décontraction en passant souvent le ventre en l'air nageoires en croix. Son manège dure une vingtaine de minutes.
    L'Enez Sun est maintenant à quai. Je monte dans l'annexe et me déhale sur l'amarre avant. Le vent est fort, le clapot vif et dru a tendance à vouloir monter à bord. Je  suis  jambes  nues  en  sandales pour éviter de mouiller inutilement mes vêtements, mais la pluie cingle et j'ai froid. Juju au loin, arrive en tirant une énorme valise à roulettes.
    Je pense déjà à cette valise dans l'annexe qui embarque de l'eau, à la hisser à bord dans la tourmente, à la place dans le bateau pour la caser. Pour l'instant, nous nous réfugions chez Bruno pour attendre que la pluie cesse. Le bar est bondé. Pas que des poivrots, des familles aussi. C'est ce qui fait l'originalité de l'île : le bar, c'est plutôt un lieu de rencontre, là où on s'échange des nouvelles entre personnes qui se connaissent. Des poivrots, il y en a et nous commençons à les repérer. Ils font tous les bars. On évite de les regarder pour ne pas subir leur conversation. Cependant, une femme nous aborde avec une question : « Qu'est-ce qu'une éclipse de cœur ? » Elle répond : « C'est quand le foie passe devant ». Elle rit et passe à la table suivante. Elle a un verre à la main, je ne l'avais pas remarqué. De l'alcool ou un soda ? De toute façon, ici on peut boire tant qu'on veut, on ne risque pas de souffler dans le ballon, il n'y a pas de voiture. Ni de gendarme d'ailleurs ; il faut les faire venir du continent et ça prend du temps.
    Notre chocolat chaud est avalé depuis longtemps et la pluie tombe toujours. On décide d'y aller. Au bout du quai, Juju enlève chaussures et chaussettes, roule son jean aux genoux tandis que je retourne l'annexe pour la vider de son eau. La Juju dans l'annexe, la valise et hop, on embarque sans délai.
    Michèle dans le bateau fait disparaître habilement le contenu de l'énorme valise dans les équipets. Vide, je la case enfin tant bien que mal dans la soute à voile. Les deux jours qui suivent donnent du soleil et toujours du vent fort avec rafales. Nous rencontrons Gilles (un autre) dit Gilles 44 sur les forums Internet de voileux.
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    C'est parce que j'y traîne moi aussi qu'il a reconnu Jaoul avec son œil sur l'étrave. Il s'est posé sur la plage à côté de Jaoul. Echange d'invitations. Il nous fait découvrir son bateau, un Parenthèse  33,  plan  Fioleau en alu, qu'il est allé chercher à St Pierre et Miquelon. Joli bateau bien conçu, que Gilles a aménagé grâce à sa passion du bricolage et des outils. Posséder un poste à souder l'alu et le coup de main pour le faire me fait rêver.

    Avant de quitter Sein, voici l'album des photos que j'ai prises sur l'île. J' y ai rajouté quelques photos issues de mes précédents séjours.
    

Voici un apercu de l'album photos sur l'île de Sein. Pour accéder à l'album cliquer sur le bouton [:::] ci-dessous.
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    Lundi 20 août.
    Lever six heures, départ sept heures trente.  Comme le temps avait beauci, la veille à marée basse, j'avais débarrassé Jaoul de ses lourdes entraves pour ne garder que l'ancre principale et le mouillage arrière.
Cliquez pour agrandir l'image    Appareillage rapide. Sortie dans le Raz de Sein par la passe est. Aligner la pyramide Plaz ar Scoul avec la tourelle blanche à 200m au nord de An Iarrod (excusez la prononciation) et suivre cet alignement jusqu'au milieu du Raz et puis filer sur la pointe de Penmarc'h. Nous naviguons de conserve avec Gilles 44. Après Audierne, le vent s'effondre. Moteur. Le soleil tape dur. Après Penmarc'h nous quittons Gilles qui file sur Concarneau. Nous  allons à Lesconil pour une escale technique : refaire le plein d'eau, l'avitaillement et surtout le lavage du linge et des corps. C'est un port de pêche jadis actif que nous avons connu lors de notre deuxième stage à l'école de voile des Glénan.
    Mardi 21 août.
    Grand soleil. Julie et Michèle partent à la laverie avec quatre énormes sacs bourrés de linge sale tandis que je m'attelle à recoudre la capote qui protège la descente. Le fil est cuit. Michèle et Julie reviendront avant que j'aie fini. Huit heures de boulot et deux aiguilles cassées.

    Mercredi 22 août.
    Départ pour les Glénan. C'est une petite étape de 10 milles. Nous mettons quatre heures pour arriver dans l'archipel. Petite vitesse et temps doux à savourer.
    L'entrée et la circulation dans l'archipel est déconcertante. Il y a peu d'eau, beaucoup de hauts fonds et des roches. Il faut du temps pour repérer les alignements à prendre et pour cela nous mouillons une dizaine de minutes. Un type passe et nous reproche de ne pas avoir mis la boule de mouillage (de quoi je me mêle !). Là serait utile une cartographie électronique visible depuis le poste de barre.
    
    Mouillage devant l'île du Loch. Un monde fou sur la plage. Des boudins (entendez : embarcation pneumatique avec coque en plastique) venus de la cote en moins d'une demi-heure avec pas moins de 100 chevaux de moteur  au cul ont déversé des familles entières avec glacières, parasols et huile à bronzer. Quel changement depuis notre stage de voile en 1976 ! Inflation de l'avoir, plus de vitesse, plus de consommation rapide et facile. Si la plage est bondée, l'île est plutôt tranquille avec son lac (loch) au milieu, sorte de mare bordée de touffes de joncs parmi un tapis de salicorne et autres végétaux résistants au sel qui présentent une étonnante teinte bordeaux.  Devant cet afflux de monde et pour se protéger, le propriétaire de l'île a fait parvenir des tas de piquets en bois et des couronnes de fil de fer. Encore un lieu sauvage qui va se fermer à la visite ou dont l'accès sera si réglementé qu'il en perdra tout intérêt.
    Durant la promenade, je n'ai de cesse de penser à ancrer Jaoul pour la nuit. La brise de suroît a monté d'un cran. Il y a un fort clapot qui interdit de passer la nuit devant le Loch. D'après la Météo, le vent va balayer un large secteur durant la nuit : suroît pour l'instant, puis du noroît au nordet. L'archipel est ouvert aux quatre vents et la houle y pénètre. Ce n'est donc pas un endroit abrité. Le seul lieu relativement protégé des vents annoncés est la Chambre, devant l'île de St Nicolas. Mais voilà, c'est précisément là que la mairie de Fouesnant a installé des bouées payantes.
    Au moteur, nous cherchons une bouée de proprio libre. Là-bas ! Le vent, le courant, les autres bateaux font que la bouée est difficile à prendre. Michèle l'a accrochée à la gaffe. Mais le bateau recule et Michèle ne veut pas lâcher la gaffe. Dans un effort trop grand, elle libère la gaffe au prix d'une grande douleur dans le bras. Moi, je suis à la barre et ne vois pas bien ce qui se passe à l'avant. Je renonce à cette bouée et tente d'ancrer, c'est bien plus facile. Mais il y a peu de place. Une fois ancré, je ne suis pas satisfait. Trop de risque de cogner un autre bateau, trop de risque de tosser sur la roche qui affleure plus loin. En fin de compte, je prends la dernière bouée payante qui reste (12 euros, ça reste raisonnable). Et là, pas question que Michèle ou Julie participe à la manœuvre. Il est 21 heures quand je descends dans le carré, mon amarrage assuré pour la nuit par deux cordages.
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    Jeudi 23 août.
    On prend l'annexe. D'abord St Nicolas, et Bananec que nous atteignons en marchant dans l'eau cristalline sur l'isthme qui les sépare. La morsure du soleil déjà ce matin, le ciel bleu profond. Les vibrantes moirures de lumière vive qui balayent le fond de sable blanc font vaciller. Regarder au loin pour avancer sans perdre l'équilibre.
    Puis Fort Cigogne. Peu de chose ont changé. La vaisselle se fait toujours à l'eau de mer mais la pompe que nous actionnions à la main a été remplacée par  une pompe électrique alimentée par des panneaux solaires. Les latrines qui ouvrent sur la mer ne semblent plus utilisées, sans doute au profit de feuillets qu'on place au-dessus d'un trou dans la terre et qu'on voit ça et là à l'extérieur de l'enceinte fortifiée. Mais l'ambiance que nous avons connue demeure : celle d'un groupe autogéré qui vit dans un lieu sauvage et de toute beauté avec des moyens simples. Nous avions retrouvé cette même ambiance qui nous plaisait tant dans les communautés de l'Arche où nous avons vécus par la suite.
    Puis Guiriden. Nous avons déplacé Jaoul et mouillé dans l'eau transparente devant un majestueux banc de sable blanc. A haute mer, il disparait. Il ne reste plus qu'un toupet d'herbe sur une tête de roche. Nous sommes partis à temps de St Nicolas. En effet, les vedettes de l'Odet, en noria, ont commencé de déverser des flots de touristes qu'on voit ensuite se suivre empêchés de marcher à leur allure, sur les sentiers de planches canalisés par des fils de fer. De loin, on dirait des chenilles processionnaires.  Des boudins sur la plage, mais moins que sur celle du Loch. Trois voiliers. Avec Julie, nous gagnons l'îlot à la nage.
    Le corps revit. Puis, étalé sur le sable pentu, je m'endors.

Voici un apercu de l'album photos sur les île de Glénan. Pour accéder un l'album cliquer sur le bouton [:::] ci-dessous.
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Cliquez pour agrandir l'image    L'après-midi s'avance, il est temps de rentrer au bateau et décider de ce que nous allons faire ce soir. Un changement de temps est prévu depuis quatre jours. L'anticyclone s'effondre. La Météo ce soir confirme : sud-ouest 5 à 6 beauforts en cours de journée demain vendredi. Il faut partir.
    Il est 17 heures quand nous quittons les Glénan pour aller mouiller sous la pointe de Beg-Meil. Alors que nous glissons sans bruit, les boudins bondés rappliquent à une allure folle. Les gens à bord sont secoués faut voir ! Un bref coucou de la main entre deux rebonds (faut se tenir) et ils disparaissent nous laissant dans le silence du vent et de la mer.

    Vendredi 24 août.
    Le bulletin météo n'est pas bon ce matin. Un avis de grand frais de sud-ouest est en cours et doit durer deux jours. Du sud-ouest, nous sommes protégés, mais il se peut que ça soit du sud-sud-ouest ou du sud et là, ce n'est pas bon.
    Je prends donc la décision de nous réfugier à Port-la-Forêt.  Juste à dérouler un peu de génois seul qu'on est déjà dans la passe de La Forêt. Je n'aime pas entrer dans une marina, encore moins quand je ne connais pas avec ce gros balourd de Jaoul et un vent de l'arrière. Le moteur rugit (l'arbre cogne fort dans l'étambot, j'en souffre) pour éviter que Jaoul ne se mette en travers du vent, ce qu'il apprécie beaucoup. Où me glisser ? Heureusement un type nous fait signe et je m'engage entre les pannes. La place est tout au fond derrière la vedette de la Gendarmerie. Quand je tourne pour glisser le long du cat-way, Jaoul est plein vent arrière et il me faut battre en arrière pour le ralentir, ce qui a pour effet de le mettre en travers du vent et des cat-ways. Michèle et Julie sont là à tenter de parer à l'abordage du ponton. Michèle dans une position acrobatique entre les barreaux du balcon avant (position strictement interdite tellement elle est dangereuse : risque d'écrasement du corps ou de la tête en cas de manœuvre ratée) tente je ne sais quoi, puisque de mon poste je ne la vois pas, ce qui aura pour conséquence de déclencher un terrible mal dans son cou fragile et un mal de tête qui ne s'en ira pas de sitôt. Pourtant, je lui redis à chaque fois de me laisser faire seul. Jaoul ira taper du flanc tribord dans l'extrémité du cat-way suivant, trop court, non-protégé par une bande de caoutchouc faisant un creux dans l'alu. Le gars du port finit par me lancer un bout que je peux tourner au taquet afin de retenir Jaoul qui veut monter sur le ponton.
    Manœuvre merdique dans un endroit merdique. Je suis furieux. Je pense à ce que j'aurais pu faire pour éviter de me mettre en vrac. Mettre Jaoul bout au vent et reculer arrière au ponton. J'aurais donc vu toute la manœuvre et pu doser la reculade. C'est une idée, mais elle n'offre aucune garantie de réussite. Faut essayer. Mais autre temps, autre lieu et la solution peut s'avérer plus merdique encore. Et 27 euros la nuitée dans un parking à bateaux, loin de la ville, un truc moche comme tout. Pas besoin d'eau ni d'électricité, en plus !

    Samedi 25 août.
    Vent et pluie derechef. Un temps pourri quoi ! On va se promener quand-même. Le vieux port de la Forêt-Fouesnant est joli comme tout. Un môle, de vieux gréements. Et plus loin vers Fouesnant, la rivière et une vaste zone d'échouage, Penfoulic, garnie de parcs à huîtres. Attention donc, à voir à marée basse et prendre des repères. Mais y mouiller n'est pas à l'ordre du jour. Demain, ça beaucit et le vent s'oriente au nord-ouest, faut en profiter pour tenter de ramener Julie à Audierne, car il va passer rapidement au sud-ouest.
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Cliquez pour agrandir l'image    Dimanche 26 août.
    Impossible d‘espérer passer Penmarc'h pour piquer directement sur Audierne, le vent est trop faible et s'oriente au sud-ouest un peu trop tôt. Le temps est beau et Lesconil s'offre de nouveau à nous. Un ponton unique avec cat-ways peu nombreux, on est dans la ville. On peut aller et venir à notre guise, c'est agréable. Derrière le port, l'estuaire d'une rivière sert d‘échouage à quantité de bateaux.
  Lundi 27 août.
    Sud à sud-ouest 4 à 5 beauforts. Moteur face au vent, ça creuse fort. Retirer les amarres, les pare-battages et hisser la grand-voile avec un ris. Dès que je peux parer les dangers de Penmarc'h sur tribord, je déroule le génois et prends mon cap au près serré. Passé Penmar'ch, j'abats et, travers au vent,  Jaoul file 8 nœuds.
    Par ces conditions de vent et de houle, Ste Evette est impraticable. Allons à Audierne. L'entrée du port est délicate, il y a des alignements précis à prendre. Au fond, un pont. Toutes les places aux pontons sont prises. Vent fort de l'arrière. Choix délicat de la place à couple. Un bateau de voyage. On va s'y mettre. Retournement pour être face au vent puis le vent et le courant collent Jaoul contre lui.
    Le lendemain, Michèle, fatiguée par l'inquiétude qu'elle n'a pas réussi à dépasser durant ces trois mois malgré de longues escales, décide d'arrêter là notre croisière et de rentrer à la maison avec Julie. Elle me dira par la suite qu'elle a perdu dix kilos, signe certain d'un épuisement.
    Du coup, je n'ai plus d'intérêt à poursuivre le programme prévu qui consistait à visiter Molène et Ouessant. J'y suis déjà allé et y retourner seul n'a aucun intérêt. Je décide de rentrer à Carentan.

    Mardi 28 août.
    Promenade dans Audierne, ville agréable et place de port pas trop chère. Mon voisin de bateau est là. On parle. Il prépare son Gibsea 37 pour hiverner aux Antilles, il part Jeudi jour où l'anticyclone se rétablit avec du vent  de nord-est. Moi, c'est  le contraire : pour remonter, j'ai besoin de vent dépressionnaire de secteur sud ou ouest. Donc, il me faut franchir la pointe de Bretagne avant la bascule des vents. Soit un départ aujourd'hui en fin de journée avec passage du Raz de Sein et du Four de nuit.
    J'ai prévu de larguer les amarres vers 16 heures. C'est trop tôt pour aller jusqu'au Raz et passer avec le courant portant. Je tirerai donc un bord pour rien au large. Mais, j'ai besoin de Julie pour m'aider à décoller du bateau à couple, car le vent me maintien contre. Et Julie ne doit pas partir trop tard car elle doit faire six cents kilomètres pour rentrer.
    16 Heures. Le courant s'inverse. La manœuvre de départ devrait être plus facile. Amarres larguées, bateau repoussé par les pieds de Michèle et de Julie arcboutés depuis les passavants du bateau voisin, je mets la gomme au moteur pour éviter d'aller me vautrer sur les bateaux des têtes de pontons suivants.
   
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Cliquez pour agrandir l'image    Manœuvre réussie. Pas le temps d'un coucou de la main, les alignements de sortie requièrent toute mon attention.
    Dehors, la houle creuse. Pas facile d'aller à l'avant retirer les amarres, les pare-battages et de tout ranger. Puis hisser la grand-voile. Dérouler un peu de génois, voir le meilleur cap à faire puis éteindre le moteur. Soulagement quand le silence revient et que je bateau prend son cap et sa vitesse. Réglages des voiles et des dérives faits, je m'allonge sur les coussins du banc du cockpit sous le vent. Moment de répit apprécié.
    Vent de force 4 de sud-ouest. Je passe la Pointe du Raz juste avant l'allumage du phare de la Vieille et de la balise de la Plate. Je maintiens vent arrière de façon à ce que les deux voiles en ciseau portent. C'est la nuit. Des chalutiers croisent vers Douarnenez. Le courant portant m'emmènera presque jusqu'au large de Batz.
   
    Mercredi 30 août.
    Note du carnet de bord : 4h50 ; Pos : 48°48.733N, 4°28.036W ; route au 66° ; allure de grand-largue ; vitesse : 8,4 nds.
    8h50 ; reste 60 milles pour embouquer le Grand Russel et puis passer le Raz Blanchard dans la dernière heure de courant portant.
    Je me prépare à passer au sud de Guernesey. C'est la route que j'ai choisie avec l'espoir de remonter dans le Raz Blanchard et doubler le cap de la Hague avant la renverse. Sinon, de faire une pause dans Havelet bay, histoire de dormir un peu.
    Un gros nuage et de la pluie dessous. Jaoul accèlère et devient instable. Il se couche sous le souffle et la pluie qui s'abattent d'un coup.  A gicler dehors, choquer la grand-voile et ferler du génois. Un moment, Jaoul ne sait plus où il va. Faut reprendre le cap et adopter de nouveaux réglages. Deux ris dans la grand-voile. Vent de sud-ouest à ouest toujours mais de force 5 à 6.
    La houle à l'atterrissage sous Guernesey. Deux mètres de creux. Peut-être plus, c'est impressionnant. On croit que la vague va monter à bord. Et puis non. Le bateau soulage, elle glisse dessous tandis qu'il accélère sur la pente en piquant du nez.
Cliquez pour agrandir l'image    Un fulmar boréal vient me visiter. Virage sur l'aile, il se joue du vent, vient voir ce curieux animal si maladroit sur l'eau, puis file au loin sans battre jamais de l'aile et revient encore, plusieurs fois.
    La pointe sud-est de Guernesey ne protège pas de la houle qui remonte. Havelet bay est impraticable et c'est trop tard pour poursuivre vers la Hague. Seule solution, entrer dans St Peter-Port. Je ne connais plus ce port depuis 30 ans. Je ne sais donc plus comment on y fait relâche. Je remonte au vent au moteur pour ranger les voiles, mettre les pare-battages, quatre amarres et une en plus pour une prise de bouée éventuelle. Avec une houle et un vent du diable dans le nez,  je suis joliment secoué. Les gestes deviennent plus hésitants. Faire le boulot et se cramponner en même temps. Il me faut une heure pour me préparer à entrer au port.

    Jeudi 31 août.
    24£ (30€) rien que pour avoir le droit de dormir sans rien consommer du tout sur un ponton qui ne donne pas accès à terre, je trouve que c'est du racket. J'étais à peine amarré que déjà, les officiels venaient mendigoter. Perdent pas de temps ! Un autre est venu pour me donner un cahier en papier glacé vantant les richesses des magasins de l'île et un formulaire de déclaration en douane. Mais comment leur dire que je n'ai besoin de rien ! Que je veux simplement dormir et partir au plus tôt.
    Largué à 15h30. Le vent a tourné à l'ouest. Deux ris dans la grand-voile et génois roulé au deux-tiers. Jaoul est seul à remonter vers Cherbourg. Le courant devient portant après la Grande Amfroque. Force 5. Peut-être 6. Avec ce flot de vives-eaux, ça cavale. Le Raz Blanchard devient une formalité. Sauf que le vent est passé un peu nord-ouest et lève un clapot d'enfer. Le Raz mérite bien son nom. C'est blanc partout sous un soleil vif et un ciel bleu sans nuage. Un aérateur ferme mal et déverse des cataractes d'eau salée sur le matelas de la banquette tribord. Je vire le matelas et met une cuvette que je vais vider plusieurs fois. Jaoul cogne, la mature encaisse les à-coups en tremblant, mais ça ne dure pas. Cherbourg déjà.  L'ancre descend dans la rade devant Querqueville. Protégé par la digue, Jaoul ne bouge plus. Je peux dormir tranquillement sans avoir à payer pour ça.
   
    Le lendemain, je lève un vieux casier en ferraille oublié en relevant l'ancre. J'ai quelques difficultés pour m'en débarrasser, mais j'y parviens.
    Escale nocturne encore devant St Vaast, puis Carentan.
   
    Samedi 1er septembre.
    Mer d'un joli vert laiteux et ciel gris-bleu foncé. Peu de vent. En embouquant le chenal de Carentan, je croise Petit-Jaune, un ketch en acier. Le capitaine, décontracté, le chapeau enfoncé sur la tête, est assis sur une chaise sur le passavant bâbord et pilote son bateau avec une télécommande. Nous nous saluons mutuellement.
    Suis un drakkar.
 
 
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    Sitôt amarré à mon ponton habituel, je pars saluer les copains. On m'apprend que Petit-Jaune a coulé. Pas possible, je viens de le croiser à l'entrée du chenal ! Si, il a coulé devant Utah-Beach ! Le feu s'est déclaré à bord, les canots tous-temps sont intervenus et ont noyé le bateau pour l'éteindre et il a coulé.
    Quand je pense au gars que j'ai salué, probablement qu'à ce moment-là le feu débutait tout juste et qu'il aurait été facile de l'éteindre!

    Merci à vous tous qui vous êtes donné la peine de me lire.

Amitiés à tous,
Régis




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Bonne lecture !

Un cabotage de trois mois (Eté 2012)