Carentan - Bordeaux et retour

Eté 2011

- 880 milles -


Diogène est placé en deçà de la civilisation, avant l'élection de l'habitat qui interdit la marche, la liberté du pérégrin.
Michel Onfray - Le ventre des philosophes - 1989

Le navigateur, Diogène en son bateau, se tient en deçà du monde afin de mieux le percevoir.



    C'est en février dernier que j'ai décidé d'aller jusqu'à Bordeaux en voilier. Christian voulait m'épargner toute cette route et me proposait de nous rencontrer à mi-parcours ou bien à la Rochelle et ça ne m'allait pas.
    Une image me vient, vieille d'une quarantaine d'années et pourtant si fraîche à mon esprit : la première fois que je l'ai vu. Un jeune homme avec des treillis trop grands pour lui, un béret trop grand en galette inclinée couvrant l'oreille gauche. Dans le camion militaire, on est brinqueballés faut voir ! Christian, garçon gracile, saute sur son banc sérieux comme un pape. Il tient à tenir sa place dans ce monde qui, pourtant, ne lui ressemble pas.
    L'idée de rendre visite à mon ami en bateau me plaît. J'emmène mon chez-moi chez lui et ça va nous permettre de nous recevoir mutuellement sans nous envahir. Et puis Bacalan, le bassin à flot, un port que je connais depuis vingt ans, lieu de vie et d'inspiration de Christian et de Catherine qui y ont vécu sur leur bateau pendant des années, je veux y mettre Jaoul en vrai, pour qu'il rejoigne l'autre, celui du roman Jaoul avant le grand départ ou le bassin à flot voit la rencontre des héros et celui de leur Grand Départ.

Samedi 18 juin 2011.
    Je suis à bord depuis début avril. A part une petite virée aux Écrehou en début de saison, j'ai le sentiment à présent d'être retenu à Port-Carentan par je ne sais quelle force occulte sans trouver le moyen d'en partir. Il y avait d'abord le bateau neuf de Jean-François à ramener de Noirmoutier, le chantier avait pris du retard, puis l'attente du retour du nordet ; il n'avait pas arrêté de souffler durant plus de deux mois sans discontinuer repoussant loin au nord les nuages de pluie. On avait eu un soleil éblouissant, promesse d'un été chaud et sec. Espérance ruinée il y a quelques jours par la survenue d'un suroît musclé humide et gris.

SMS :
    – Suis à Carentan. Attends une fenêtre météo favorable.
    – Merci de nous faire participer.


    Je n'en peux plus d'attendre. Tant pis, je pars demain.

Dimanche 19 juin.
    Temps maussade. Prévisions : vent d'ouest 6 à 7 beaufort, mollissant 3 à 5.

SMS :
    – Pars à 11h. Vents de SO. Progression sera difficile jusqu'à Pointe de Bretagne. Arrêt à St Vaast pour carénage 24h.
    – Merci de nous faire participer. Nous t'attendons. Salue Vaast et bonne route.



     Vaast est le personnage principal de « la Renverse », le roman de Christian. Marin sur la Gironde puis ermite sur Patiras, il n'est pas sans rappeler un autre Vaast, le patron de St Vaast-la-Hougue. St Vaast, né en Périgord, puis retiré à Toul, instruisit Clovis dans la foi chrétienne vers 500. Puis, il devint l'apôtre des Atrébates et évêque d'Arras évangélisant ces contrées retournées au paganisme à la suite des invasions barbares. C'est d'Arras que vinrent des moines en Cotentin pour fonder un ermitage puis une paroisse à qui ils donnèrent le nom de leur saint patron. Avant de s'appeler « Vaast » en normano-picard, « Waast » en wallon, « Foster » en anglais, puis « Gaston » en français, (de Gast : hôte), son nom était « Vedastus ». Il était gallo-romain.


Cliquez pour agrandir l'image    J'arrive à St Vaast-la-Hougue, il est trois heures de l'après-midi. Vent d'ouest 4. J'amarre Jaoul à la grande jetée, celle des pêcheurs, mais plus loin que les pêcheurs, plus près de la racine de la jetée.
    Trois mètres cinquante de hauteur d'eau. La mer descend.
    Pas facile de s'amarrer à l'échelle qui mène au quai là-haut. On s'amarre provisoirement à de gros barreaux rugueux de rouille en plaques qui use les cordages pour porter l'amarre de la pointe avant loin sur le quai. Quant à la pointe arrière, il n'y a rien. Il faut inventer un brêlage pour maintenir le bateau près de l'échelle quand il sera à marée basse.
A marée basse, il pleut. Je patauge dans la vase pour brosser la coque. Elle est sale avec des pointes blanches partout. Je m'inquiète. C'est surement de la corrosion. Ou peut-être bien des concrétions calcaires. Je brosse l'hélice. L'aluminium brut apparaît. La pale du haut est creusée de petites cavités sur son extrados. Le moral en prend un coup. Je veux changer les anodes qui ne sont plus actives comme en témoigne le vert accroché dessus. L'un des deux goujons qui la fixe à la coque cède. La corrosion encore. Je fixe la neuve qui ne tiendra plus que par un seul boulon. J'espère ne pas la perdre. Puis remets une anode à visser en bout d'arbre ; je les perds régulièrement. Cette fois-ci, je souque comme un forcené. Ce n'est pas facile sous la voute de la coque, un genou dans la vase en prenant garde de me pas m'y étaler complètement. Puis re-souque encore
    Il pleut toujours.
    Je remonte dans le bateau, couvert de vase. Je me nettoie consciencieusement à l'eau de mer dans les seaux. Les bottes. Le vieux ciré jaune qui ne sert qu'au carénage. Les outils. Les brosses en dernier. Je remplis toujours deux seaux avant que la mer ne se retire. Le dernier demi-seau, c'est pour le cockpit, puis j'enlève le ciré en haut, les bottes au bas de la descente.
    Je n'ai pas pu brosser la carène côté quai. Pas assez d'espace pour m'y glisser. Ni pu, de ce côté, défaire l'anode usée. Plus tard, lors d'un autre échouage.
La corrosion. Un coup au moral. L'humeur sombre m'envahit et plombe ma soirée. La moindre trace de corrosion me laisse imaginer mon bateau, mon cher bateau (dans tous les sens du terme), se dissolvant comme un sucre dans un verre de Calva. Quand on est seul, le moindre souci en outre les proportions.
    A la remontée des eaux, la débarque. En marche arrière sur la jetée, des camionnettes se dépêchent d'aller charger les caisses de poissons. Un jour, je vais en prendre une sur la tête quand un mareyeur peu doué donnera le coup de volant malheureux. Instinctivement, je baisse la tête à chaque passage en trombe.

Lundi 20 juin.
    C'est la marée qui choisit le moment du départ. J'ai le temps de me rendre à la Chapelle des Marins. C'est très proche. Dedans une statue d'évêque en pierre et l'autre en bois polychrome. L'un est St Vaast, l'autre St Marcouf, l'un ou l'autre je ne sais. Qui saluer donc ? Ça n'a pas d'importance. De toute façon, ils ont vécu à la même époque. Des deux, St Vaast était le plus âgé, je crois ?

    Saluer Vaast, c'est d'abord relier deux époques très éloignées qui n'ont, à priori, rien à voir l'une avec l'autre et qui, pourtant, offrent des similitudes. Notre époque qui voit se dissoudre l'ordre ancien des états nations dans une mondialisation dont les mouvements semblent flous, imprévisibles, où la cupidité semble ne plus avoir à se cacher, n'est pas sans rappeler les invasions barbares du cinquième siècle qui défirent l'Empire Romain.
    Saluer Vaast, c'est ensuite appeler à « la Renverse » des courants qui conduisent notre espèce pullulante et avide d'un toujours plus, dans le mur à cause de la raréfaction des ressources et du changement climatique. De même que St Vaast appelle à la conversion des hommes retournés au paganisme, Vaast, dans le roman de Christian, appelle au retour sur soi et sur sa propre relation au monde afin d'en infléchir le cours.
    De St Vaast en Cotentin à Pâtiras en Gironde, 1450 ans et 420 milles marins. Un milliardième de seconde à l'échelle de l'univers. Non pas une croisière, ou des vacances en voilier, mais un « pérégrinage ».

    14h. Une heure avant le jusant, Jaoul appareille, vire le musoir et contourne Tatihou par le sud. Durant ce temps, les dérives sont baissées, les voiles sont établies, le moteur arrêté, le pilote automatique réglé. Jaoul au près tire un bord au nord-nord-est.
    Trop long bord qui m'éloigne de la côte. L'autre bord m'en rapproche mais pas assez. Je prends du retard. Non, pas de train à prendre. Seulement le courant de jusant qui n'est pas très fort en cette morte eau et qui va se renverser trop tôt et m'empêcher d'atteindre Omonville à temps.
A la fin du jusant, je pique sur la passe de l'Ouest de la rade de Cherbourg et mouille devant Querqueville. C'est toujours là que je mouille quand je ne peux faire autrement.

SMS :
    – Carénage d'un côté seulement, à cause du mur de la jetée. Travaux de peinture en perspective pour cause de corrosion. Ce soir Jaoul est mouillé en rade de Cherbourg. Temps à grains de SO maussade. Bruine. Demain, Omonville-la-Rogue, mouillage d'attente pour franchir le raz Blanchard. Attente obligatoire d'un vent autre que SO.
    – Vu à la capitainerie de Bordeaux. Il y a des places. Ecluses tous les jours sauf lundi, mercredi, vendredi. Il y a un ponton d'attente. Bonne route. Pensons à toi.


Mardi 21 juin.
    Départ à 15h30. Cap au 290. Vitesse 4 nœuds. Pression 114 hectopascals. Allure de près. J'amarre Jaoul à la bouée n° 6 à Omonville deux heures plus tard.
    Pour les deux jours qui viennent, je suis bloqué. Mercredi : SO 5 à 6 ; jeudi : SO 4 à 5, 5 à 6 dans l'après-midi. Vent debout : pas bon pour franchir le raz Blanchard et se glisser entre Aurigny et Guernesey.

SMS :
  – Suis à Omonville près de la Hague en attendant météo favorable. Si tu peux, regarde sur le Web, Winfinder et dis-moi prévisions zone entre Bretagne et Cotentin pour ven, sam, dim et lun prochains. Merci.
    – Ve 24 O 8n ; sa 25 SO 8n ; di 26 SE 12n ; lu 27 O 10n. Bonne route.


    Bonne route ? Il en a de bonnes, Christian. Je suis bloqué ici pour un sacré bout de temps, oui !
    Mon impatience me fait devenir accro à la météo. Je guette le passage du bulletin sur la radio VHF qui passe en boucle chaque demi-heure. Mais ce n'est que deux fois par jour qu'il se renouvelle. Rien d'intéressant donc, jusqu'à la prochaine mise à jour. J'en suis si dépendant que j'ai le sentiment que plus j'écoute plus j'ai de chance de voir le vent tourner.

Mercredi 22 juin.
SMS :
    – Bloqué à Omonville pour probablement plusieurs jours. SO force 6.
    – J'ai vu Windfinder. Le vent doit se calmer peu à peu. Je pense à notre rencontre, nous avons des choses à nous dire. Bonne route.


Jeudi 23 juin.
    Je tourne en rond dans mon bateau depuis presque quatre jours à l'affut de la moindre information météorologique qui pourrait m'emplir de joie, comme un vent portant de nord-est par exemple. J'ai surfé sur deux fréquences VHF, celle de la zone côtière Antifer-Cap de la Hague et celle de Cap de la Hague-Pointe de Penmarch, puis le soir j'étais présent dix minutes avant le début de la diffusion du bulletin toutes zones de France-Inter, déblatéré à toute vitesse, que j'enregistre sur dictaphone afin de me le repasser en boucle. J'étais prêt à partir à chaque début de jusant et jusqu'à présent, j'ai laissé filer le moment. Demain, le moment, c'est à cinq heures.

SMS :
  – Je pars demain à 5h du mat et prévois faire du moteur. Pas le choix. Sortir de la Manche après avril mai, c'est toujours problématique. Prochain message en Iroise si réseau. Impatient de nous retrouver.
    – Si c'est galère, je peux te retrouver à mi-parcours. Ici la chaleur arrive. 37° prévu lundi. Moi aussi, je suis impatient de te revoir. Bonne route.


    Le thermomètre de la cabine affiche 15 degrés.

Vendredi 24 juin.
    5h, départ. La météo prévoit du vent de force 2 à 3 d'ouest-nord-ouest en fin de nuit et on y est.
    Je quitte, puis cap au nord, au moteur, jusqu'à avoir dépassé sur bâbord, les roches affleurantes devant Omonville, hisse la grand-voile seule et prend mon cap vers le raz Blanchard.
    Je ne voulais pas naviguer au moteur, mais attendre plus longtemps m'était trop pénible et inutile car je ne sais quand le vent sera favorable. Ça peut durer des semaines voire des mois. Puis, remonter au vent dans cette zone de courant, c'est peine perdue, je le sais pour m'y être exercé.
    Le passage entre Guernesey et Aurigny. Au loin les Casquets.
    22h. J'ai noté « banc des langoustiers » sur mon carnet de bord.
    J'ai quitté enfin la zone des Anglo-Normandes et Guernesey n'est plus qu'un souvenir. J'en suis soulagé, débarrassé devrais-je dire. Avec ces vents contraires, j'ai cru que je ne pourrais jamais m'en extirper. Mais, ça n'explique pas tout, je n'aime pas repasser à chaque navigation par ces passages obligés mille fois parcourus, et cette côte vue et revue.          C'est drôle, je n'ai cette pénible impression qu'à l'aller. Au retour, je vois ça autrement. L'œil nourri d'autres horizons se rénove.
    Le vent se lève.
    Je déroule le génois.
    J'arrête le moteur.

Samedi 25 juin.
    Zéro heure. Le vent souffle 5 à 6 Beaufort de suroît. Calé contre le balcon de mat au vent, je prends deux ris d'un coup dans la grand-voile.
    Puis je roule le génois.
    A moitié.
    Au trois-quarts.
    Tirer des bords, d'abord un grand vers la Bretagne. Pourvu que ça ne refuse pas ! Si ça adonnait ce serait bien ! Je glisserais ainsi le long de la côte Bretonne sans effort et me retrouverais au bon moment pour embouquer le Four.
    Ce serait bien !
    Pour m'aider à choisir le bon bord, j'ai un nouvel outil : un logiciel de navigation. Ils avaient dit : vent de nord-ouest 2 à 3 et il n'y a pas eu de noroît. J'ai le nez sur l'ordi et vois la trace du bateau. Il faut que je fasse attention : comme hier (c'était peut-être avant-hier, je ne sais plus) à la VHF, j'ai tendance à être scotché dessus pour voir avancer Jaoul, comme s'il suffisait de regarder l'écran pour faire marcher le bateau alors que c'est sur le pont que ça se passe.
    A la VHF, la femme du CROSS Corsen dit la météo d'une manière étrange. Elle baisse l'intonation et s'arrête au milieu d'une phrase, puis reprend en montant le ton de la dernière syllabe. Vent de sud (silence). Ouest force TROIS. Au début on est désorienté et ça énerve. Après on s'habitue et c'est drôle.
    Avant l'aube, j'avais renvoyé toute la toile et ça faiblit encore.
    Voici l'île de Batz qui sort de la brume. Une brume qui filtre par paquets les rayons d'un soleil radieux. Il est presque midi. Je sentais l'île depuis que j'ai quitté mes oripeaux humides de la nuit et avalé un copieux petit déjeuner avec d'énormes tartines, de quoi tenir jusque tard dans l'après-midi. C'était vers huit heures. Depuis, je ne suis pas rendu compte, mais le temps passe. Le vent faiblit.

SMS :
    – Suis au large de Batz. Hier, 12h de moteur. Cette nuit, tiré des bords dans un suroit musclé. Reste à négocier l'entrée du four.
    – Bravo, tu as bien avancé. J'ai repris la lecture de Tamata. Suis en pensée avec toi. Nous t'attendons avec impatience. Bonne route.


    Bernard Moitessier, la figure attachante du poète vagabond.
    « Alors, la vague géante est revenue me prendre pour m'emmener plus loin encore, jusqu'aux cimes de moi-même. Avec mon bateau, j'ai entrevu là-bas des sommets où mon cœur semblait sur le point d'éclater comme ces ballons qui volent trop haut. Et dans cette immensité où le vent et la mer lancent des étincelles qui s'en vont dans le ciel et se fondent ensemble sous le grand souffle des étoiles, j'ai retrouvé l'Alliance. » (Tamata et l'Alliance)

    Il faut du temps pour retrouver l'Alliance. Du temps pour se quitter, quitter sa tête, ses préoccupations, ses aspirations. Faut au moins huit jours sans voir la terre. Dormir en mer. L'habiter, quoi ! Parfois ça lâche et je jubile par le simple fait d'être là, parfois j'en bave et demande que ça cesse. Bien souvent, occupé par la marche du bateau ou la conduite de ma vie à bord, c'est au dépourvu que ça vient.

    J'ai croisé un voilier qui allait sur l'Aber Wrac'h. Il était sous la bonne amure. Moi, j'ai un peu d'est dans mon sud et ça m'éloigne de ma route. J'attends encore pour virer. Batz grossit. J'attends encore. Quand j'aperçois les premières roches, je vire.
    Et pour virer sur un cotre, pour que passe le génois d'un bord à l'autre, il faut l'enrouler afin que la voile se glisse ensuite dans l'espace réduit entre l'étai de foc et l'étai de trinquette.
    Sur Jaoul, c'est tout une affaire.
    Je reprends la barre et relève la dérive arrière sinon Jaoul ne vire pas. Je maintiens la barre avec les fesses tandis que je saisis l'écoute sous le vent. Un coup de fesse et hop, la barre va sous le vent. Dès que ça fasèye, je lâche l'écoute en grand et brasse de toutes mes forces la drosse d'enrouleur jusqu'à ce que le génois soit de la taille d'un tourmentin pour pouvoir passer devant l'étai de trinquette. Je reprends de l'écoute pour qu'il porte un peu à contre pour aider à virer. Puis je la lâche pour saisir l'écoute du bord opposé et déroule la toile d'une main tout en maintenant en tension la drosse d'enrouleur qui file dans l'autre main. Le temps de veiller au bon enroulement de la drosse sur sa bobine, sinon elle fait un paquet qui bloque le déroulement du génois, et Jaoul a déjà trop abattu. Il se retrouve à retourner d'où il vient, la voile si gonflée qu'il faut de la force pour la border. Et c'est de coup de barre en brassage d'écoute que progressivement je reviens sur ma route. Puis je baisse la dérive et finis la manœuvre en grimpant à califourchon sur l'hiloire tribord de manière à avoir de la force pour border la voile au winch jusqu'à ce qu'elle soit bien plate pour faire le meilleur cap.
    Enfin je règle mon angle de barre avec le vérin du pilote et j'éteins le pilote. Jaoul du près au largue, tient sa route tout seul.
    L'effort a été intense. J'ai envie de me reposer. Je descends à la table à carte, note mon cap et mon point sur le carnet de bord puis remonte et c'est seulement après avoir jeté un coup d'œil sous le vent pour m'assurer qu'il y a de l'eau à courir qu'enfin je me cale en long sur les coussins du banc sous le vent qui fait, avec l'hiloire, une sorte de berceau..
    Je ne suis pas satisfait de ma manœuvre : c'est long, laborieux, épuisant. J'ai beau repasser tous mes gestes dans ma tête, réfléchir à ce qui pourrait être amélioré, je ne trouve pas. Je pourrais lâcher l'affaire en me disant que j'ai fait pour le mieux, mais non. Je me dis que j'ai dû bâcler quelque chose et ça m'agace.
    Le vent faiblit de plus en plus. Je passe du temps à calculer en bas, à la table à carte. Les courants, les vents, les marées. Je feuillette l'Almanach du marin breton. Je le refeuillette parce que ma pensée a été troublée par, je ne sais plus. Les marées de référence, Cherbourg ou Brest. Je note les heures sur le carnet de bord, c'est mieux comme ça, et pour plusieurs jours.
    L'Almanach rejoint les cartes sous le plan de la table.
    Il faut être à l'heure pour embouquer le Four. Suffisamment tôt pour franchir Four et raz de Sein sur une même marée. Pour le Four, se présenter 3h avant la pleine mer de Cherbourg.
    Puis tous les calculs. Des questions : arrêter à l'Aber Wrac'h ou pas ? Des feuilles griffonnées sortent deux heures, 1h18 ou 14h dimanche, que je note sur le carnet de bord.
    Je froisse les feuilles.
    Vient à mon esprit l'image saugrenue de feuilles à aller rechercher dans la poubelle et à lisser ensuite. Mais non, les calculs sont bons. Je pense à 14h ? C'est trop long. Ça me fait ralentir à l'excès ou relâcher à l'Aber Wrac'h. Ça ne me satisfait guère. Et si je me dépêche, à une heure dix-huit je serais peut-être à l'entrée du Four ?
    Moteur. Génois roulé. Cap sur la Basse de Portsall en ligne droite.
    Puis le brouillard.
    Veille au radar.

Dimanche 26 juin.
    Il est une heure quand Jaoul double la bouée ouest Basse de Portsall.
    Puis le Four, la brume se lève, le vent aussi.
    Voiles et moteur.
    La nuit scintille de bouées sur l'eau, de phares au loin, un vrai fouillis de lumières qu'il s'agit de ranger.
    D'abord voir la Valbelle, feu rouge deux éclats six secondes. Pointer dessus, mais laisser à bâbord. De l'écran de l'ordi, au pont je monte et descends sans arrêt pour voir, revoir, reconnaître.
    Puis St Paul. S'assurer de ce qu'on voit, qu'on prend les bouées dans le bon sens.
    St Pierre.
    Et la Grande Vinotière.
    Je desserre les fesses. Le festival aux lampions est derrière. Vent d'est, Jaoul file vent de travers.
    Une bourrasque de vent chaud, Jaoul gite.
    Le jour se lève. J'enlève ma veste de quart, mes bottes, ma salopette. Et puis vite les pulls polaires, les deux d'un coup, le caleçon polaire, et celui plus fin du dessous. L'été éclate. On a changé de climat en moins d'un mille.
    Je suis tendu vers le Raz de Sein. Il faut qu'il vienne vite.
    Mes gros doigts sur le téléphone. Les touches trop petites.

SMS :
    – Le Four cette nuit avec du vent. Le Raz dans une heure et demie. Après, je me calme.
    – Belle navigation ! Oui, prends du repos. Ici la chaleur. 40° annoncés ! Et des orages. Te souhaitons bonne relâche et bonne météo pour la suite.


    Tévennec devant, Sein à droite.
    Le vent monte en refusant. Jaoul est à sept nœuds et demi. Trop toilé pour le temps. Pas le moment de réduire, il faut passer avant la renverse.
    Le temps passe, c'est déjà la renverse.
    Et là-bas Sein et Danièle, l'amie qui m'accueille à chaque escale, me montre ses endroits secrets, me fait connaître ses amis, Christine dans son restaurant et Rémi son goéland marin qu'elle nourrit avec les restes des plateaux de fruits de mer; Rémi est resté longtemps avec la moitié de son plumage juvénile et Christine désolée disait qu'il ne voulait pas grandir. Et Michel, le photographe à l'humour irrésistible…
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    Souvenirs agréables, pensées douces qui filent sur l'onde jusqu'à eux. La prochaine fois, je m'arrête, c'est promis. Une photo au passage, des nappes d'air chaud adoucissent les couleurs et font onduler les maisons serrées au bord des quais.
    Tévennec par le travers tribord. La petite maison sur le caillou et sa boite à lumière.

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     Tévennec le phare hanté. Construit en 1871 à 3 milles de l'île de Sein, le phare de Tévennec a une histoire ou se mêlent drames et malédictions. Le premier gardien, Henri Guezennec devint fou. Il croyait entendre autour de lui des voix qui lui criaient : « Kerz-kuit, kerz-kuit » (va–t'en, en breton). On le remplaça mais les « kerz-kuit« » recommencèrent tant et si bien que le gardien Alain Menou perdit la tête à son tour. On crut l'îlot hanté et l'on dépêcha sur l'île un prêtre pour l'exorciser. Rien n'y fit. Même pas le remplacement, en 1893, du gardien solitaire par deux solides gaillards dont l'un deux décéda.
     Une telle série noire ne pouvait laisser indifférent le service des phares qui décida en 1898, d'installer cette fois un couple, les Milliner. Ce qui n'empêcha pas l'homme de mourir dans les bras de sa femme. C'est la famille Quéméré qui prendra la relève. Elle y restera cinq ans et mettra au monde trois gamins. La femme ira même jusqu'à dire, vers la fin de ses jours, qu'elle a passé sur cet îlot inhospitalier quelques-uns des meilleurs moments de sa vie. Le ravitaillement de l'île s'effectue alors toutes les deux semaines, « temps permettant » bien sûr, ce qui est loin d'être toujours le cas. Mais, les Quéméré jouissent alors des services de quelques poules et d'une vache, importée avec son fourrage, car aucune herbe ne pousse sur Tévennec. Ils engraissent également un cochon. La famille Quéré leur succédera, puis les Ropart dont le père du gardien se fera enlever par une lame. Trop c'est trop. Confrontée à une telle avalanche de drames, l'administration décide en 1910 de transformer le phare en feu permanent alimenté par le gaz.


    J'étais bien trop gité mais il fallait que je passe Tévennec. Maintenant, je peux abattre un peu et arrêter le moteur. Jaoul soulage et moi aussi. L'allure est plus confortable. Je vais vite à cause de mon retard sur la marée pour passer le Raz et n'ai pas le temps de réduire. Le clapot risque d'y être sévère. Mais bon, c'est la fin de la première heure de flot et le courant n'a pas repris sa force. Parfois Jaoul abat trop et pointe sur la tourelle du Chat avec ses récifs devant. Le passage est large pourtant mais comme tout se précipite, je me vois déjà sur les cailloux. Je maintiens la vitesse. L'espace entre la tourelle de la Plate et le phare de la Vieille se réduit drastiquement. La Plate passe devant la Vieille et, sans prendre le temps de s'y confondre, s'écarte vite. Le raz de Sein est passé et avec lui mes inquiétudes. Je n'ai pas rencontré de clapot malgré le flot établi depuis longtemps et les dangers du Chat sont par le travers.

SMS :
  – Bourrasque de vent chaud dans le Raz. Je me retrouve encore au près. Vent de suet. Plus que 198 milles pour BXA*. Chouette ! (*BXA est la bouée d'atterrissage pour entrer en Gironde)
    – Ici sudet brûlant, ciel clair. Retour de la fraîcheur mardi. Ta venue sera l'occasion d'une large réflexion sur nos vies. Bonne route et à très bientôt !


    Le vent souffle 5 Beaufort, je réduis la grand-voile à deux ris, roule le génois à moitié et file plein sud dans l'Atlantique. Le golfe de Gascogne. Sur cette route, c'est la côte Cantabrique entre Gijón et San Vicente de la Barquera dans deux jours. L'air chaud, le soleil éblouissant et la mer en lames vertes ourlées de panaches évanescents et de perles cristallines accueillent Jaoul dans une nouvelle mer. Fini le vert laiteux de la Manche, le clapot court, les courants, le vent froid et l'horizon limité, place à la rutilance, au grand souffle de l'Océan, place à l'espace infini. Les Cantabriques là-bas, terres inconnues, lieux imaginaires de montagnes tombant dans l'eau, échancrées de rias profondes aux villages nichés. Leurs abris sûrs accueillent le navigateur aux quais tranquilles et silencieux, si loin du vacarme des villes et des voies rapides, là où l'ancestral môle de pierre n'est pas encore défiguré par la cupidité bétonnante des responsables locaux et des investisseurs. Quand j'entends ces mots tristes qui me viennent à la fin quand j'évoque le plaisir de la grande communion avec la beauté qui m'accueille, je fais un trou dans ma toile de rêve et par celui-ci,  reviens à la réalité.
    J'ai faim.
    Le repas sitôt cuit est monté dehors et calé sur les bancs du cockpit tandis que je dispose mes coussins et mes récipients à portée de main. Assuré de n'avoir rien oublié qui me demanderait le douloureux effort de me lever pour redescendre dans le bateau, je peux savourer le moment délicieux d'un repas pris en terrasse sous une lumière radieuse et un air doux.
    Plus tard, Jaoul pointe sur Gijón et bientôt sur La Corogne. Il est temps de virer.
    Sur l'autre bord, c'est la baie d'Audierne un peu à l'ouest de la pointe de Penmarc'h. Il n'est plus question de s'attendre à voir surgir la côte Cantabrique d'une minute à l'autre.    L'imaginaire tourne la page de lui-même et oublie la précédente. Tirer des bords dans un vent de suroît, la tâche parait insurmontable, longue et monotone comme la baie d'Audierne que je n'ai pas envie de voir de près.
    Par chance, le vent adonne et le cap s'infléchit doucement vers l'est, vers la pointe de Penmarc'h qui ne semble plus impossible de doubler sur cette amure. Le vent faiblit. Je rétablis toute la voilure et serre ainsi mieux le vent. La mer se calme.
    Vers la fin de l'après-midi, le vent faible adonnant, permet de doubler la pointe de Penmarc'h. La présence d'autres voiliers s'accroît. Je n'espérais pas Bénodet ce soir mais voilà que la baie s'approche. Près de la côte, Jaoul réclame une veille soutenue. Durant les courts instants qu'elle me laisse, je vais chercher en bas sur la carte un lieu pour y mouiller cette nuit.
    Le Guilvinec, c'est tout ce que m'offre ce soir ce vent asthénique. « Moteur, Jaoul ! Il n'est pas question qu'on joue la souris parmi les éléphants de pêcheurs du Guilvinec » et d'appuyer sur les boutons selon la procédure de démarrage de l'engin.

SMS :
  – Après le suet, la pétole. Cette nuit, dodo en rade de Bénodet, comme il y a 20 ans avec le Jabadao. (Jabadao était le cotre aurique que Christian venait d'acheter à Regnéville dans la Manche, et que nous convoyions jusqu'à Bordeaux.)
    – Bonne nuit.


    Toujours vers Bénodet, le Guilvinec s'estompe. J'ai choisi de passer entre la basse du chenal et la basse Malvic. Mais avant, il faut passer entre la sud Boulanger et l'ouest de Roc'h Hélou. Peu avant Boulanger, je me ravise. Pourquoi aller à Bénodet puisqu'il faut faire le chemin inverse demain. A l'annonce d'une nuit calme, autant mouiller dès que les fonds remontent. Je change de cap, vais plein nord jusqu'à ce que la trace de Jaoul sur l'écran de l'ordi se cale un peu au nord-est de Men Du au-dessus de la zone dessinée par la courbe bathymétrique des 5m.
    La mer est d'huile quand l'ancre perce la surface pour gagner le fond rocheux. La chaîne s'étale avec un bruit de ferraille et se tend d'un coup quand l'ancre croche. Jaoul tressaille, moi aussi. Une frayeur m'envahit. « Et si l'ancre venait de se prendre sous une roche, comment faire pour la dégager demain ? » Et de penser au pire, à devoir couper la chaine et laisser l'ancre au fond, au prix d'une chaine et d'une ancre neuve. Et des pensées à postériori comme : « t'aurais du oringuer », qui font le lit des soirées gâchées.
    Au loin une brume de chaleur empêche l'horizon. Un voilier au moteur me double et s'éloigne doucement. Je le suis des yeux. Il rapetisse tandis que le bruit décroit, puis vire pour entrer à Loctudy.
    La brume tombe sur la nappe des eaux immobiles.
    La boule de mouillage dans le gréement à l'avant. Le feu de mouillage s'allumera de lui-même quand le jour aura décliné.

Lundi 27 juin.
    J'ai dormi comme une souche.
    A 8h30, grand-voile haute, ancre levée : elle est venue toute seule. Elle n'était pas engagée sous une roche comme me l'avait fait penser le brutal rappel de la chaîne hier soir. Je souffle, soulagé.
    Temps brumeux, visibilité réduite.
    Une envie de Glénan où passer la nuit suivante.
    Piquer sur la bouée Boulanger, la laisser à bâbord. Puis laisser de même, la Roc'h Hélou, la Rostolou, puis la Rouge de Glénan.
    A tribord, les ilots de l'archipel en ombres chinoises sur un gris indistinct de mer et de ciel.
    Les Bluiniers.
    Des noms doux à mon souvenir me reviennent : Glut'ar Hir, Guiotec, les Méabans, Men Goé, Brilimec.
    La brume se dissipe. Voici le Gluet, le Huic et Brunec. La Pie et sa perche de danger isolé. Jaoul moteur au ralenti entre dans le lagon. 
Cliquez pour agrandir l'image    A gauche, Guiriden : un rocher coiffé d'une touffe d'herbe.posé sur une langue de sable blanc. C'est là-devant que je vais mouiller.
    L'eau bleue avec des touches claires et d'autres plus foncées. Glisser sur une vitre et voir le fond monter, puis laisser l'ancre choir. Laisser se dérouler, cliquetis, la chaîne au guindeau.
    Guiriden.  Puis, regarder autour. Là-bas Penfret, puis l'île du Loch, Fort Cigogne, Drenec, St Nicolas et Bananec.
    Il est 11h et déjà j'ai faim.

SMS :
  – Aujourd'hui, relâche aux Glénan dans l'attente d'un NO qui doit venir ce soir. Mouillé devant Guiriden. Paysage magnifique !
    – Les Glénan, souvenir. Ici grosse chaleur. Le temps semble virer à l'W. Si le vent tient, tu seras ici dans 3 jours. J'espère qu'il fera moins chaud. Bonne nav !


    …Trente-sept ans ont passé. Pourtant je me rappelle comme d'hier, Penfet : les tentes bleues à Pen Maryse (encore aujourd'hui) où nous dormions, les Vauriens, les Caravelles à hisser sur la plage à chaque retour, les Dogres mouillés devant et la prame qui nous ramenait à terre que nous manœuvrions à la godille, les promenades la nuit tombée et les verts luisants au bord du chemin.
Cliquez pour agrandir l'image    Nous rêvions de grands espaces et d'un été sans fin, de mers lointaines et de sillages phosphorescents, de bateaux en bois avec des cuivres et des lampes à pétrole. Nous étions sur une île, l'archipel était notre atoll et c'était chez nous. Nous étions des vagabonds, des aventuriers. Nous nous disions qu'on vivrait de lumières, de sable chaud et de quelques poissons cuits au feu du bois flotté glané sur les laisses. On collectionnerait des coquillages, on en ferait des colliers qu'on offrirait à nos compagnes, peau satinée au gout de sel.  Voilà ce qui se fomentait dans nos têtes parce que c'était les vacances, parce que nous apprenions la voile et que nous étions jeunes.
    Nous avions échangé nos adresses et nous ne nous sommes jamais revus.
    Les Glénan, pèlerinage aux sources de ma passion, quoique la source remonte à plus loin encore, puisque c'est Christian qui un soir de permission dans la ville de Rastatt, en pays de Bade, m'a raconté les Glénan. C'était si passionnant que cette envie ressentie ce soir-là, j'allais la garder au fond de ma mémoire cinq années durant avant de pouvoir la faire vivre, ici dans ce paysage, dont Christian m'avait tant vanté la beauté.
Cliquez pour agrandir l'image    Et, aujourd'hui échoués sur le sable de Guiriden, ces apprentis marins, à quoi rêvent-ils ? Les temps ont changé, les Dogres ont disparu et avec eux les Choses et les Cotres qui ne nous faisaient jurer que par la marine en bois et le gréement à corne, la Caravelle a désormais un moteur hors-bord, mais les rêves eux, ont-ils changé pour autant ?

    Les enfants partis, Guiriden est désert.
    Je note. A faire à l'escale: acheter des bottes ; recoudre gousset 3eme latte de grand-voile ; et la météo pour cette nuit: vent de nord-ouest à nord 4 à 5, rafales sous orages, houle de nord-ouest, averses. Demain : nord-ouest 4 à 5 avec rafales parfois en nord de zone. 3 à 4 la nuit suivante.
    Il est 5h du soir, le vent est faible mais favorable. Je mange mon repas et prépare des en-cas. J'ai pensé un moment mouiller sous le vent de Penfret pour la nuit, mais non, il vaut mieux profiter de ce noroît qui monte.


SMS :
    – Vent d'O à NO 3 à 4. Je lève l'ancre. BXA dans 30heures si ça veut rire !
    – Super ! Nous te souhaitons bon vent, bonne route et à bientôt.


    La mer est haute et Guiriden, réduit à son rocher herbu, n'offre plus sa reposante étendue de sable blanc. Le soleil en se retirant derrière l'épaisseur des nuages qui s'entassent à l'horizon assombrit les couleurs. Il est temps de déraper.

    BXA, cap au 136.
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    Avec cette promesse de vent portant, il faut en profiter et établir les voiles en ciseau en tangonnant le génois. Manœuvre longue et fastidieuse quand on est seul parce qu'il faut se harnacher et s'attacher afin de pouvoir se libérer les deux bras sans risquer de tomber à l'eau. La plage avant est large et peu sure, il faut assurer le tangon avec la balancine avant de pouvoir le libérer. Des deux bras, passer le tangon entre les haubans, passer l'écoute en bout, saisir les hales-bas, et se mettre debout sur un bateau qui roule pour le fixer au mat, faire tout ça sans que la longe qui me relie au bateau ne s'entortille ou ne fasse des nœuds avec d'autres cordages est un exploit que je réussis pour la première fois. Je ne suis pas peu fier.
    Je lofe de 10 degrés pour assurer une meilleure portance des voiles.

Mardi 28 juin.
    Des phares au loin. Belle-Ile sûrement. Depuis l'avènement du GPS, je n'ai plus guère identifié un phare en route. J'essaie de dormir par tranches de 20 minutes avec un compte-minutes réglé autour du cou. Le sommeil ne vient pas. Le temps me paraît long. Je suis la plupart du temps allongé sur le banc de cockpit tribord, là où le mur du rouf incliné est le plus large, protégé du vent par la capote. J'occupe mon temps à guetter la girouette de tête de mât pour maintenir Jaoul sur son cap le plus longtemps possible, car le vent arrière irrégulier fait parfois claquer le génois qui ébranle la mâture. De cinq degré en cinq degré, je fais évoluer le cap au bouton du pilote électrique, à l'abri dans la descente, qui agit sur un volet fixé sur le bord de fuite du gouvernail.
    Au matin, les lumières au loin sont éteintes. Il fait gris. J'essaie de dormir. Quand le compte- minutes sonne, je me penche vers l'avent pour voir sous le génois. Un chalutier par le travers croise ma route. 20 minutes plus tôt, il n'y avait rien à l'horizon. Je règle mon compte-minutes sur 10 minutes, c'est plus sûr. Ça raccourcit beaucoup la période de sommeil, si toutefois je parviens à dormir.
    Le vent monte. Je réfléchis à comment ferler la grand-voile qui m'oblige à tenir le plein vent arrière. L'écoute passée en bout de tangon ne coulisse pas. Je ne peux donc rouler le génois sans défaire le tangon et tous ses apparaux, pour ensuite monter bout au vent. Je vais donc faire autrement pour descendre la grand-voile. Je m'arrange pour la mettre dans l'axe du bateau en réglant le pilote pour maintenir strictement le vent arrière. Après avoir tiré sur la toile comme un forcené, je finis par la rabanter sur la bôme.
Je note : prévoir de mettre un mousqueton en bout de tangon pour que l'écoute y coulisse.
    La mer se creuse, le roulis devient pénible à supporter surtout à l'intérieur. Du cockpit à la table à carte, je vais et viens, pour grignoter oui, mais surtout pour voir la trace de Jaoul sur l'Océan à l'écran de l'ordi et je n'ai de cesse que de vérifier son allongement. J'ai hâte d'arriver. Non pas à Bordeaux déjà, mais en vue de l'estuaire de la Gironde.
    A 16h, le plateau de Rochebonne par le travers tribord. Reste 50 milles avant BXA.
    A 20h, le vent n'est pas plus fort, force 5 à 6 Beaufort, mais la mer est creuse. Les vagues très rapprochées font deux à trois mètres de haut. Il est temps de rétablir la grand-voile avant la nuit en vue de négocier l'entrée en Gironde.
    Une fois le tangon dégréé, le génois roulé, la dérive arrière relevée et celle avant baissée, Jaoul ne tient pas face au vent et tombe en travers de la lame qui le couche. Je vais sans arrêt de la barre, pour remettre Jaoul bout au vent, au mât pour hisser la grand-voile au troisième ris. C'est laborieux. J'aide au moteur. La manœuvre m'épuise. Quand Jaoul est de nouveau sur sa route avec la toile du temps, une heure et demie vient de s'écouler. Je suis fatigué mais content de voir se terminer cette longue route monotone au vent arrière.

Mercredi 29 juin.
    Quand BXA est en vue, il est 1h du matin. Je mets le cap sur la première bouée bâbord du chenal d'entrée, pour parer le banc de la Mauvaise. Au loin des cargos illuminés attendent leur pilotes. Des bateaux de pêche dans tous les sens aiguisent ma vigilance. Les fonds sont peu profonds, le fetch important et ça creuse.
    La bouée n° 2 virée, Jaoul remonte le chenal au vent de travers.
    La nuit est vraiment noire et je n'y vois pas grand-chose. Ça clignote de partout, j'ai du mal à repérer les marques. Des lames sombres par le travers chahutent Jaoul sans toutefois monter à bord ; parfois j'entends déferler et serre les fesses. Je vérifie sans arrêt pour me rassurer. Oui, je suis bien dans le chenal. Je cherche une bouée verte pour piquer dessus afin de m'éloigner de l'inquiétant déferlement sur le banc de la Coubre proche. Le bruit est infernal. La nuit fait imaginer des vagues monstrueuses prêtes à m'engloutir à la moindre inattention. Là-bas le phare de la Coubre, secteur vert.
    Puis rouge.
    Je suis l'alignement d'entrée, deux feux à maintenir un temps l'un au-dessus de l'autre et le quitte pour remonter les bouées vertes.
    Une bouée déplacée par une correction de la carte faite à la main me fait remonter au nord.
    Un cargo me rattrape. Je tiens bien ma droite, mais c'est par tribord qu'il me double en s'obligeant à sortir du chenal. Je comprends qu'il ne souhaite pas me déventer mais je pense qu'il prend des risques, à moins que le pilote en sache plus que ma carte sur la hauteur d'eau à cet endroit et l'emplacement des bancs.
    Une fois le cargo passé, je souffle un peu, descend voir ma position sur la carte à l'ordi et tapote le bouton du pilote électrique pour infléchir ma route vers tribord.
    La Pointe de Grave. A franchir avant la renverse.
    Elle est franchie vers 3 heures.
    Jaoul ne roule plus, tant mieux, mais je suis fatigué. Je descends souvent à la table à carte vérifier ma route, les bouées.
    Pas se tromper de bouée.
    A la table à carte, je me sens bien, c'est ma place. J'y suis en sécurité et je n'éprouve pas le besoin de faire autre chose qu'assurer la navigation. C'est moi le navigateur. L'autre est à la manœuvre sur le pont et connait son affaire. Toujours à veiller au moindre réglage… Il n'y a qu'à écouter le bruit qu'il fait.
    Personne ne veille sur le pont.
    L'effort pour me convaincre de ma solitude est difficile. M'obliger à ne pas rester à l'intérieur trop longtemps sinon la suggestion va revenir en force et m'avaler tout cru.
    M'obliger à monter sur le pont. L'air frais me fait du bien.
    C'est sur le pont que les choses se jouent, pas à l'intérieur. Pas y descendre, ou pas longtemps. Juste pour voir comment approcher le rivage pour mouiller. Mouiller pour  dormir, urgent. Plus en mesure de rester conscient. Personne d'autre pour conduire le navire. Personne. Je lutte. Le sommeil. Je me bats. JE SUIS SEUL. Maintenir cette conviction absolue que l'autre veut battre en brèche et mouiller au plus vite.
    Richard, mouiller devant Richard.
    J'approche vers la rive et quand la sonde paraît correcte, je laisse tomber l'ancre et file pas mal de chaîne. Le temps de régler la sonnerie du réveil à 8h et je m'écroule sur la couchette, juste le temps de voir 5h à ma montre.

    Le réveil, sur le puits de dérive, est loin de ma couchette. Il oblige à me lever pour aller interrompre sa sonnerie. Sans ce stratagème, je ne me serais pas levé à temps et Jaoul serait déjà couché dans la vase.
    Il fait un soleil radieux et c'est un vrai plaisir de découvrir le paysage après cette entrée en Gironde durant laquelle, je n'ai rien vu. La berge est loin, l'eau couleur de café au lait est épaisse et peu profonde.
    Il reste un mètre cinquante d'eau sous la quille.
    Ça ne devrait plus baisser beaucoup. Le flot est à 10h20.
    J'engloutis mes vastes tartines avec un plaisir gourmand.
    Il ne reste plus qu'un mètre d'eau sous la quille et parfois moins, il est 9h. La précipitation me prend d'un coup. Il faut que je parte d'ici au plus vite. Je vois le piège de vase se refermer sur moi. Je suis dans un chenal qui va assécher. Devant, c'est la rive et derrière un banc de vase, le banc de Richard qui, sous l'eau encore, barre mon retour au chenal de grande navigation dont on aperçoit les bouées.
    Le vent pousse Jaoul à terre.
    La chaine peine à remonter, gluante, même avec l'aide du guindeau électrique. L'ancre apparait, garnie de vingt kilos de glaise dont la moitié repart lourdement à l'eau en éclaboussant. Le bateau se met travers au vent et commence à venir à la rive. Je saute à la barre et à la manette des gaz, en avant toute, l'œil rivé sur le cadran du sondeur. La quille touche parfois mais la vase est molle. Il s'agit de bien négocier le retrait de Jaoul de l'espace creux entre deux bancs de vase invisibles.
    Quand la sonde marque trois mètres, on peut baisser la dérive arrière et gagner le chenal principal.
    Une fois le génois déroulé et le pilote réglé, je note : 9h17, départ de Richard.

SMS :
    – Que deviens-tu ?
    C'est vrai que depuis les Glénan, je n'ai pas donné de nouvelle. Les Glénan quand c'était déjà ? Ça me parait si loin ! J'ai été obligé de consulter mon livre de bord pour me rappeler. C'était lundi soir. Déconcertante relativité du temps que j'observe en navigation.
    – Suis devant Richard. Je quitte parce que pas assez d'eau.

    Peu de temps après devant Valeyrac. 
Cliquez pour agrandir l'imageSMS :
    – Un bon noroît me fait refouler à la voile. Passe devant Valeyrac.
    – Tu nous appelleras du Bec d'Ambés, nous apporterons le repas pour déjeuner à bord. Tu arriveras vers 14h à mi-marée. Le ponton d'attente est contre le chantier du nouveau pont. Gare au courant : 4 à 5 nœuds. Je prendrai les amarres.

Devant Pauillac, le courant devient portant, le vent tombe et la voile ne porte plus.
Moteur ! On change d'ambiance sur le champ.
Je suis quand-même satisfait d'avoir pu remonter la moitié de la Gironde à la voile. Et devant Pauillac, c'est Patiras que je salue bas. La boucle est bouclée. Vaast et Patiras, les retrouvailles.


Cliquez pour agrandir l'image
    Patiras et son avancée de l'îlot de Trompeloup, est la première des îles que l'on découvre, face à Pauillac. Surgie, dit-on, au moyen âge, elle aurait servi au cours des temps comme ermitage au moine St Patiras dont elle a tiré son nom, puis de repaire à un terrible pirate, puis aussi de léproserie !... Au XVIIIème siècle sa situation devant Pauillac l'amènera à servir de dépôt sanitaire. Les bateaux arrivant des colonies et autres lieux suspects doivent systématiquement y débarquer leur cargaison de balles de coton ou de laine pour l'éventer et l'exposer à l'air. Des digues édifiées à cette époque permettront par la suite d'y établir des pâtures et des vignes qui seront connues pour avoir été épargnées par le catastrophique phylloxera, en particulier grâce à l'inondation des pieds. Mais le temps a passé, la roue a tourné, avec les guerres, l'exode rural a eu lieu. Restent des maisons abandonnées, la statue de St Patiras ; et au nord de l'île le phare érigé en 1879. Il est devenu propriété du conservatoire du littoral et a été restauré récemment. Il est, avec un "refuge-belvédère" privé édifié à ses côtés, un lieu de visites et de manifestations.



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    Blaye.
    Souvenir. Avec Christian et Catherine : le voilier Vatéa, un Albion 36 rouge, posé sur une banquette de vase dans le port de Blaye. La chaleur, la Citadelle, le bon temps passé ensemble. L'amarrage sur la tonne instable et moi qui tombe à l'eau tenant serrée l'aussière que je viens de passer dans l'anneau. L'eau chaude du fleuve.

    Lamarque et l'épi de l'Ile verte.
Cliquez pour agrandir l'image    Souvenir d'une nuit avec le voilier Jabadao mouillé derrière l'épi : Christian dort. Je me lève pour pisser par-dessus bord. La nuit est claire, à cause de la lueur de la ville proche qui se reflète dans les nuages. Les roseaux se découpent dans la lueur et, quand je prête l'oreille, j'entends de furtifs froissements d'herbes ou de paille sèche. Vers le fleuve, le « plic » d'un poisson sautant hors de l'eau presque sous l'étrave me surprend. Je reste dans la pénombre à scruter, à deviner d'où surgira le prochain bruit... Un « plouf », suivi de trois cercles concentriques argentés qui vont s'élargissant. C'est sans doute un rat d'eau ou bien un ragondin, une loutre peut-être ? Le silence et l'immobilité sont habités, il y a de la vie, elle est partout. C'est bon !

    Le Bec d'Ambes.
    Le téléphone pour dire à Christian et à Catherine que j'arrive et qu'ils peuvent se préparer à venir me rejoindre. Je me sens bête au téléphone. Sentiment de n'avoir rien à dire. Je préfère les messages écrits.
    La Gironde finit en Garonne, plus étroite. Un gros navire quitte le quai rive droite et, pour éviter, prend la largeur du fleuve. Je ralentis et serre la berge.
    Le pont d'Aquitaine et vite les pare-battages, les amarres à poste, le pilote débrayé, la barre en mains.
    Je les vois, là-bas ! Mes amis.
    Je suis fier. L'instant est important. Oui, je suis fier car je viens d'accomplir un acte refondateur. Visiter mes amis avec mon propre bateau. Christian, l'initiateur de mon goût pour la voile, il y a si longtemps. C'est aussi revenir sur les rêves partagés, les moments vécus sur le fleuve, sur Vatéa, sur Jabadao, notre passé sans lequel Jaoul ne serait pas.
    J'approche.
    Le ponton. Des bateaux amarrés. Venir à couple. Le courant fort pousse vers les batardeaux du pont en construction. J'entame un large virage pour me mettre face au flot, règle la vitesse du bateau sur celle de l'eau qui file. Jaoul s'approche doucement. Une amarre lancée à Christian, tournée aussitôt sur les taquets du voilier à couple, une autre à Catherine.
    Avant les embrassades, nous soignons le réglage des aussières car ça tire beaucoup.
    Mes amis n'ont plus leur bateau sur lequel ils ont vécu quelques années, mais je sens à travers leur joie, que ce goût du tonneau de Diogène sur l'eau les replace dans leur propre histoire.
    Ce qui se refonde là, profondément, ce qui fait notre identité, c'est bien le pérégrin. Etre dans le monde sans être du monde, n'y acquiescer que du bout des lèvres et le regarder vivre avec l'attention du spectateur. Qui d'autre peut être plus pérégrin que l'homme qui vit sur l'eau et n'a d'autre attache que l'amarre à son anneau au mur du quai ? L'artiste, bien-sûr, et mes amis le sont.
Cliquez pour agrandir l'image    A l'appel radio pour demander l'écluse, ne répond qu'une infâme friture. Je sais qu'on m'a répondu, mais je n'ai rien distingué. Par téléphone, ça marche mieux. Demain à 6h du matin.
    C'est tôt. Trop tôt car le soir venu, j'ai du mal à dormir à cause de la chaleur de la ville en été.

    Jeudi 30 juin 2011.
    A 6h, l'écluse. Il fait jour et mes amis sont déjà là.
    L'écluse.
    Le bassin n°1 : ses péniches habitations et boites de nuit.
    Le pont tournant.
    Le bassin n°2 : la base sous-marine, recyclée en lieu d'expositions pour cause d'indestructibilité. Les hangars, les bateaux côte à côte, le nez au quai. Des planches, des bidons, des tuyaux, des voitures et des remorques sur le quai. Des camping-cars.
Cliquez pour agrandir l'image    Une place libre.
    Une manœuvre de prise de bouée sur l'arrière pas très aisée et amarrage sur l'avant à deux anneaux au mur du quai.
    Il est 8h.

    Dans l'un des camping-cars, habite un homme qui pèche. Il sort des anguilles énormes, parle à tout le monde comme s'il connaissait chacun intimement, prête main-forte à l'amarrage des bateaux qui vont à quai. D'ailleurs, une goélette s'approche. Nous, l'amarrons. Un belge avec sa femme et sa fille viennent de boucler un tour du monde de sept ans. Ils relâchent en ville pour se refaire une cagnotte et mettre la gamine à l'école. 
Cliquez pour agrandir l'image    Parfois un pérégrin gagné par la peur de manquer ou de laisser perdre, accumule sur son pont un invraisemblable fourbi qui déborde jusque sur le quai, comme notre voisin : atteint par l'âge, il a aménagé sa passerelle en pont-levis, avec un pneu en guise de portillon, qui laisse échapper de comiques grincements chaque soir quand il la relève.
    Pour l'eau, il suffit de demander le branchement à la compagnie des eaux. Pour le courant électrique, il y a des fils qui courent en guirlande entre les anneaux de quai. Il n'y a qu'à en tirer un autre jusqu'à une prise lointaine. Jaoul n'a pas besoin de se relier aux réseaux, autonome qu'il est pour un mois encore. Ici, c'est la débrouille et l'entraide. Les choses simples.
    
Cliquez pour agrandir l'image    Sur Jaoul, une passerelle aussi, bricolée avec les moyens du bord. Allez à terre et surtout revenir à bord, avec le vélo de surcroit, est l'exercice le plus périlleux de la journée.

Du 30 juin au 7 juillet.
    Bordeaux, la grande ville.
    La chaleur de la ville, le bruit des voitures, la foule des passants sur les quais aux terrasses de cafés pleines. Les allées et venues en tramway, en vélo du bassin à flot à l'appartement de Christian et de Catherine aux Chartrons.
    Notre rencontre. Une fois chez eux, l'autre fois à bord de Jaoul. Une conversation née au début de notre âge d'adulte qui se poursuit au gré de nos courriers, de nos visites mutuelles. Elle se nourrit de nos expériences, de nos découvertes, de nos confrontations avec nous-mêmes, avec les autres, avec la vie. Christian, d'abord ingénieur en aménagement du territoire, puis écrivain-navigateur sur la Gironde ; Catherine, tisserande puis institutrice et artiste plasticienne. Longues discussions sur l'écriture de Christian, les créations de Catherine, nos projets, nos enfants, la vie. Joie d'être ensemble, de parler, de rire.
    Les nuits chaudes et les moustiques.
    L'avitaillement de Jaoul au supermarché en vélo, sac à dos plein et lourd.
    Les promenades autour du bassin. Un bassin aux allures de friches industrielles qu'aucun projet d'aménagement n'a encore pu transformer en quartier chic, sûrement à cause de l'indestructible et hideuse base sous-marine, qui après avoir abrité sans succès un musée maritime, dont Vendredi Treize est le dernier témoin, sert aujourd'hui de lieu d'expositions.

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     Le Vendredi 13 est un trois-mâts construit en 1972 sur plan de Dick Carter. Avec ses 35 tonnes et 39 mètres de long, il avait un plan de voilure comportant 3 génois bômés. Construit en sandwich fibre de verre/mousse polyuréthane à Saint-Nazaire. Jean-Yves Terlain avait conçu ce prototype spécialement pour la Transat Anglaise (OSTAR), course à la voile en solitaire, courue entre Plymouth (Grande-Bretagne) et Newport (États-Unis).
     Géant pour son époque, on le disait impossible à manœuvrer par un seul homme. De fait, au cours de la transat, Terlain rencontra des problèmes de gréement qui le privèrent de la victoire. Il arriva second, derrière Alain Colas sur Pen Duick IV. Pour payer le bateau, Terlain, et sa compagne de l'époque Karin Desboeuf, décidèrent de l'armer pour le charter aux Antilles. Vendredi 13 fut alors confié à Yvon Fauconnier qui recruta un équipage de marins hôteliers pour seconder son épouse Dany. Leur fille Karine Fauconnier, qui devait à son tour devenir une navigatrice célèbre, participa à ces croisières dès son plus jeune âge.
     En 1976, Yvon Fauconnier courut à son tour la Transat Anglaise avec le 3 mâts, mais dut abandonner, blessé, face aux dépressions très creuses qui marquèrent cette course. Le voilier continua ses navigations entre les Antilles et les États-Unis. Au début des années 1990 il connut cependant de graves problèmes de structure, qui s'avérèrent irréparables. Une copie du bateau fut alors réalisée, mais elle ne restitua jamais le caractère particulier de l'original. Ce sistership fut baptisé Friday Star. Vendredi 13 fut alors offert au Musée de la plaisance qui ouvrit un temps dans l'ancienne base sous-marine de Bordeaux, où il fut exposé à terre, mâté mais sans sa quille. Après la fermeture définitive du musée, la coque, ouverte à tous vents, resta sur le terre-plein de la base sous-marine où elle se trouve encore aujourd'hui.


Cliquez pour agrandir l'image    La rencontre d'un couple de jeunes Lithuaniens, invités à bord de Jaoul. L'expo photo sur la guerre d'Espagne dans la base sous-marine, vue avec eux.

    Avec Christian, la visite à René et Annie, propriétaires et habitants de Zorba, un navire sablier de 43 mètres qui stationne dans le couloir entre les deux bassins. René, un gars que la tâche ne rebute pas, puisqu'après avoir acquis Zorba, il s'est attaché à la remise en état de Gitana III, 20 mètres, un ketch de course de 1963 ayant appartenu au baron de Rothschild avec lequel ils allèrent naviguer aux Antilles.

Cliquez pour agrandir l'image    On accède au Zorba par des friches, puis par la passerelle entre les ferrailles. Voici le pont, les structures à la tôle épaisse sans couleur définie avec ça et là des boursoufflures de rouille. Un large escalier descend en cale, immense pièce parquetée à madriers de chêne couverte par des panneaux transparents ; des plantes, des fauteuils, des guéridons, un espace salon, un hall d'accueil plutôt, joliment décoré façon vieille batelerie ou il fait bon vivre et recevoir. Derrière, des pièces à finir, d'autres à concevoir ; des salles de bain, des chambres pour les petits-enfants. Sous le plancher, le lest : 15 tonnes de pavés placés un a un pour que le bateau soit dans ses lignes. A plus de 60 ans, l'homme ne désespère pas devant l'énorme chantier, ce n'est pas son premier. De nouveau sur le pont, il explique qu'il a acquis une pelleteuse. Le bras hydraulique est déjà soudé sur la plage avant. Il a permis de hisser à bord deux épaves qu'il compte restaurer. Puis, par une échelle verticale, la salle des machines. Deux arbres d'hélice gros comme le bras. Deux Diesels qui démarrent à l'air comprimé préalablement recueilli et compressé par un cylindre moteur avant d'arrêter la machine. Une cave sombre, grasse de cambouis, griffée de fils électriques qui pendent, encombrée de pièces noirâtres qui trainent. René, passionné, n'est pas rebuté devant un chantier titanesque dont il est fort probable qu'il n'en verra pas la fin. C'est à visage rayonnant qu'il parle de ses moteurs et il en parle si bien qu'on les entend cliqueter doucement.

 
Un interview de René et Annie sur Zorba à regarder. Durée 9 minutes 41 secondes.





    Notre rencontre avec René et Annie date de 1994 lorsque Michèle et moi avions pris "Jabadao", le voilier de Christian qu'il avait inscrit à une course de vieux gréements dans les pertuis charentais et à laquelle il ne pouvait participer. Nous avions passé une semaine à naviguer de conserve. René et Annie avaient la "Chunga" comme voilier à l'époque. Souvenir...
    Une carte postale nous était parvenue sans que nous nous doutions que nous avions été photographiés.
La voici...

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Cliquez pour agrandir l'image    René n'est pas le seul à rêver d'habiter sur un bateau rénové. Dans le bassin n°1 sont mouillées une dizaine de péniches à divers stades d'avancement. Dans le bassin n° 2, d'autres embarcations, péniches, gabarres, voiliers qui dans l'eau qui sur le terre-plein continuent de pourrir ou bien se réparent petit-à-petit ; leurs propriétaires ont, comme René, le rêve solidement chevillé au cœur pour accepter de vivre dans un perpétuel chantier. 




Vendredi 8 juillet.
    Michèle, mon épouse, est à bord depuis lundi dernier. Nous avons trois semaines pour revenir à Carentan et rentrer à Rouen à temps afin d'accueillir notre petite fille en vacances. Je ne mesure pas bien le temps dont on dispose pour visiter tranquillement les mouillages de la côte Atlantique. Ça donne lieu à discussions parfois fortes. J'essaie d'établir un programme. Dans la conversation, Michèle me rappelle dix fois qu'elle doit être rendue à Rouen pour le 1er août. J'ai beau lui dire que j'ai pris en compte cet impératif, rien y fait. Trois semaines me paraissent un temps trop court pour mener à bien une navigation qui fait 440 milles en route directe tout en naviguant uniquement de jour en sautant d'un mouillage à l'autre. Elle veut débarquer à Pornic pour y retrouver son amie qui la remontera à Rouen. Moi, je vois s'envoler mon envie d'explorer la Bretagne sud avec elle.
    Les adieux à Christian et à Catherine. On promet de se revoir bientôt. De s'écrire. On s'embrasse.

Samedi 9 juillet.
    1h du matin, le départ.
    Le pont tournant. L'attente dans le bassin n°1 en tournicotant sur place avec d'autre bateaux devant les rayons lasers et les bruits sourdement martelés de « la dame de Shangaï », ancien pétrolier fluvial converti en restaurant-boite de nuit.
2h30, les portes s'ouvrent mais il faut encore attendre de laisser passer les bateaux entrants.
    L'amarrage le long du bajoyer sur la boucle d'un câble qui pend.
    La porte derrière nous se referme mais pas le pont tournant. Il y a un problème. L'éclusier appelle l'équipe de dépannage.
    On attend.
    Ils arrivent.
    C'est un pont sur lequel passe le tramway. Et quand il ne passe pas sur le pont de derrière, il passe sur le pont de devant. Ainsi, la circulation du tram n'est jamais interrompue.    Pourtant, à cette heure, il n'y a plus de tram. Mais on nous explique qu'on ne peut ouvrir un pont quand l'autre n'est pas refermé pour ne pas risquer une autre panne qui laisserait    les deux ponts ouverts.
    On attend encore.
    Il ne se passe rien.
    L'équipe d'intervention n'a pas les moyens de réparer, il faut faire intervenir le fabriquant du pont.
    L'heure du jusant a sonné, c'est trop tard. De toute façon.
    Retour au bassin n°2, à notre place.
    Jaoul se mets en travers. On s'y reprend en plusieurs fois pour se présenter le nez au quai tout en maintenant tendue l'amarre arrière sur la bouée afin qu'il ne lui prenne pas la  mauvaise idée de se prendre dans l'hélice.
    Il est 4h quand on va se coucher.
    Prochaine éclusée, demain à deux heures du matin. Et si le pont n'est pas réparé, on est bloqué pour deux jours supplémentaires parce qu'il n'y a qu'une éclusée par jour et en semaine, c'est un jour sur deux.
    On ne va pas râler, puisqu'on a eu nos dix jours à quai gratuitement.

Dimanche 10 juillet.
    2h10 du matin. Départ.
    Un goût de déjà vu au passage des bassins et des écluses. Mais cette fois-ci, ça marche. Deux heures plus tard, le jusant vif de Garonne nous happe dans la nuit.
    Et de lumignon rouge en lumignon rouge balisant le chenal à tribord, on se laisse emporter jusqu'au jour.
    A la hauteur de St Estèphe, me prend l'envie de franchir le fleuve pour le plaisir de voir la côte de Saintonge que je connais peu.
   
Cliquez pour agrandir l'image    A la fin du jusant, on mouille devant l'estey qui mène au port de Mortagne. C'est marée basse. Plateau de roseaux vert en contre-haut, pentes ocres de vases luisantes. Relief vallonné. Mouillé là-devant dans peu d'eau, c'est être au carrefour, c'est voir juste ce qu'il faut, jusqu'au premier méandre et imaginer le reste. Départ d'explorations qu'on laisse en suspens. Petit déjeuner en terrasse sous un ciel d'azur et dans un air doux, troublé seulement par un gars qui sort en canot puissant et nous interroge sur notre tirant d'eau pour nous dire qu'on peut entrer dès maintenant. D'autres canots sortent, des voiliers aussi. Certains nous diront qu'il ne faut pas rester là. Pourquoi, alors qu'il y a de la place pour passer de chaque côté de Jaoul ? Deux heures plus tard, les mêmes de retour moteurs vrombissants. Nous gênons manifestement. Nous obligeons à ralentir avant d'embouquer le chenal de Mortagne et ce n'est pas habituel pour eux. Notre voilier, ici, est incongru. On ressent le « ça ne se fait pas » qui qualifie le dissemblable, l'erreur qui pousse à revoir ses habitudes. De fait, la magie de l'endroit cesse d'un coup.
    L'eau monte.
    A 13h nous partons.
Cliquez pour agrandir l'image    Défile la côte de Saintonge : Talmont et son abbaye, les alignements de carrelets, les falaises blanches de Meschers, les habitations troglodytiques.
    Arrivée devant Bonne-Anse vers 17h.
    Les bouées du chenal d'entrée à repérer. Oui, j'ai envie de mouiller dans bonne anse. Je remonte un peu les bouées. Du ressac sur tribord. Je ne vois pas bien la suite du chenal. Quand je n'ai plus que 1m20 de hauteur d'eau, je fais demi-tour.
    On mouille à l'extérieur. Ça roule un peu. Je frappe une bosse sur la chaîne pour la tourner au taquet arrière afin de présenter l'étrave face à la houle, le tangage étant toujours plus agréable à vivre que le roulis.

Lundi 11 juillet.
    Marée montante. L'annexe à l'eau, nous voilà partis explorer, moteur pétaradant, l'entrée de Bonne-Anse. Le chenal tortueux mène au port de La Palmyre. Il est sillonné en permanence par des embarcations qui entrent, sortent, traversent, virevoltent : des jet-skis, des kitesurfs, des canots à moteur, des dériveurs, des kayaks. Le courant qui entre est puissant.
   
Cliquez pour agrandir l'image    L'après-midi, nous descendons sur le cordon dunaire. La différence est frappante : côté est, le monde fou, coloré, bruyant, agité des vacances ; côté ouest, une lagune sauvage bordée de dunes, des couleurs allant du grenat au bleu en passant par le vert clair et l'ocre jaune. Des oiseaux. Le silence du vent dans les buissons, le bruit des grains de sable qui frappent les feuilles et les tiges sèches. Michèle et moi restons des heures assis dans le sable. J'imagine planter ma tente ici, cuire ma pitance, dormir l'endroit solitaire. Je me lève enfin, Michèle rejoint l'annexe, tandis que je cherche un lieu où échouer Jaoul. J'imagine, le bateau posé, la promenade matinale en Robinson…
    C'est à regret que je rejoins Michèle qui m'attend près de l'annexe pour la remettre à l'eau et rentrer au bateau. Nous n'avons pas le temps d'échouer dans Bonne Anse et de profiter de l'endroit, et nous habitons trop loin pour espérer y revenir rien que pour y passer quelques jours.
La nuit, l'orage. Il approche, je suis inquiet. Il est sur nous, ça illumine de partout sans délai après le craquement. J'ai peur pour les instruments que je n'ai pu débrancher. J'ai peur à la soudaine bourrasque, qu'elle fasse chasser le bateau. L'écart entre l'éclair et le tonnerre grandit, l'orage s'éloigne ; je me rendors.

Mardi 12 juillet.
    6h du matin. Départ avec le jusant.
    De bouée rouge, en bouée rouge, à la voile et ça creuse. Vent de NNO 4 à 5.
    Devant du ressac. J'abats de 5 degrés.
    Encore du ressac devant. Pourtant, je suis dans le chenal qui pare le banc de la Mauvaise tout proche.
    J'abats encore.
    Je vais abattre encore pour éviter de passer là où ça déferle et finir par me retrouver un peu à l'extérieur de l'alignement des bouées vertes.
    Je reprends le côté nord du chenal et à la bouée n°2, je prends mon cap vers Yeu, moteur et génois enroulé, nous sommes dans l'axe du vent.
    La journée s'étire, monotone.
    Chassiron par le travers tribord.
    Je note St Denis d'Oléron comme escale possible. Seuil à 1m50. Entrée avant 19h.
    Les Baleines. Je pense au Fiers d'Ars pour la nuit. Le vent à l'air de vouloir adonner. J'hésite puis décide de poursuivre.
    Fin du moteur, soulagement.
    On est au près serré et le vent adonne encore.
    Je note Port-Bourgenay. Puis non.
    Je vise St Gilles-Croix de vie.
    Pas très longtemps puisque le vent faiblit sous les Sables d'Olonne. Le soir vient. Je ne veux pas aller aux Sables, je connais déjà. On va perdre une journée et payer pour rien une pace en marina. C'est l'ile d'Yeu que je veux voir. Je vire de bord et fait de l'ouest. J'espère que le vent va adonner sur ce bord et c'est le contraire qui se passe.
    Le vent forcit. Un ris, puis deux et réduction du génois. Voiles réduites, le près est moins bon.
    Force six, je prends le troisième ris.
    Michèle a peur, elle est secouée. Elle veut qu'on arrive vite. Quand je décris la situation et lui dit qu'on arrivera que demain dans la matinée, elle me reproche de ne pas avoir relâché aux Sables. Elle n'arrive pas à dormir.
    J'assure seul la veille et les manœuvres. Entre-temps, j'ai souvent le nez sur l'écran de l'ordi pour suivre la trace de Jaoul et guetter la moindre variation de vent.
    Quand j'estime pouvoir atteindre Yeu bâbord amure, je vire.
    Au petit matin, Jaoul pointe le milieu de l'île. Puis le vent refuse petit à petit. L'île se dérobe au désir de Jaoul.
    Pour ne pas s'en éloigner et aller au plus court, je roule le génois et mets le moteur. L'air est froid et le ciel sans nuage. La mer scintille et moutonne à la fois. Jaoul tangue et peine à faire sa route dans le clapot.
    Le moteur baisse de régime sans raison. Manette à fond, il reprend des tours. Ce n'est pas le moment qu'il nous lâche !
    La pointe des Corbeaux. Le bateau tangue, le moteur tousse.
    La pointe des Corbeaux toujours. On va la voir longtemps encore et nous n'aurons vraiment l'impression d'avoir avancé que lorsque nous seront dans le Pont d'Yeu.
    Le pont d'Yeu, route sur Port-Joinville.
    Plusieurs fois, le moteur tousse. C'est de l'air dans le circuit de gas-oil, c'est sûr. Une durite craquelée ou une prise d'air sur le filtre décanteur. Pourvu que ça tienne encore un peu !
    En vue du port vers 11h, on cargue et rabante les voiles. On sort les pare-battages, on prépare les amarres.
    Michèle dit que je n'ai pas mis les défenses à tribord. M'enfin, je les ai mises ! Je regarde, pourtant elles n'y sont pas. Je suis consterné. Elles n'y sont plus. J'ai dû faire des nœuds pourris. Manque de vigilance. Encore des choses à racheter.
    Le port. L'entrée du port et les bateaux. Faut faire attention. Un gros ferry sur mes talons. Je serre à droite pour le laisser passer. Je reste sur ma route et ralentis afin qu'il me dépasse vite pour aller à gauche, couper le chenal et entrer dans la marina.
    Ici, on nous place.
    Manœuvre délicate pour s'insérer entre les bateaux. Jaoul est empoté quand il s'agit de manœuvrer au moteur.
    Amarres raidies et tournées, nous nous retrouvons en short sans délai. Trop chaud à l'abri de vent. En plein midi.
    Des voisins intrigués : « c'est un bateau de voyage ? Vous venez d'où ? Nous on vient des Sables et on y retourne après-demain ». Leur bateau sort tout juste de l'emballage.    C'est un voilier conçu pour les vacances. Un camping-car avec terrasse et vue sur la mer. Gastronomie, soleil et apéro, voilà le programme ! Pour eux la mer n'est qu'un décor.      Les gens du bord, nombreux, sont agréables, admiratifs à nos réponses. Deux conceptions voilières aux antipodes l'une de l'autre. On échangera encore sur le chemin des toilettes.
    Port-Joinville. Une gare maritime où les ferries vomissent leurs touristes par grappes. Des gens en vacances, des familles, des locations, des bagages. Du monde partout.    Beaucoup de monde. La foule.
  Seul, je serais reparti aussitôt. Avec Michèle, je fais le touriste.

Cliquez pour agrandir l'imageJeudi 14 juillet.
    On a loué un scooter.
    Casque sur la tête et vent sur la peau, on fait le tour de l'île en badauds.
    Maisons vendéennes pimpantes. Plages bondées. Port de la meule : l'hiver, ce doit être un bel endroit à vivre, même brièvement. Mais seulement l'hiver, car l'affluence en    saison gâte la perception et ne laisse rien d'autre que le sentiment vide de consommer du paysage.
    Sillonner l'île en scooter donne une vue d'ensemble et permet de ne pas s'attarder. La nuit en marina, c'est pas donné.
  
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    Un message de Christian :

SMS :
  – Nous pensons à vous. Où en êtes-vous ?
    – On vient de faire le tour de l'île d'Yeu en scooter. Bonne Anse, un territoire à dormir hors saison. Bonne Anse-Yeu : 30h, 10h de moteur et 20h de près sans un NO force 6. Problème de moteur à voir demain : prise d'air sur circuit gazole. Samedi, je débarque Michèle à Pornic et rentre seul. Bisous à vous deux.


Vendredi 15 juillet.
    Météo. Prévisions pour le Samedi 16 : vent de SO 4 à 5 virant O l'après-midi.
    Force 6 à 7 d'ouest pour dimanche Départ samedi matin au vu du temps à venir.
    Préparation au départ. Achat de nouvelles défenses.
    La durite allant du réservoir de gas-oil au filtre décanteur est craquelée. Je la change. Le filtre aussi. Le moteur prend ses tours sans tousser.
    Avitaillement.

Samedi 16 juillet.
    Départ à 7h.
    8h. Prise de 106 litres de carburant. Temps gris, crachin.
    A la sortie du port, un peu de clapot. Au moteur, je mets Jaoul bout au vent et demande à Michèle de l'y maintenir le temps de hisser la grand-voile. Quand je lui demande de pousser la barre ou de la tirer, elle ne sait plus, le sens des mots lui échappe. Elle panique et rien y fait pour la rassurer.
    La manœuvre dure un peu plus longtemps, c'est tout.
    A 10h30, on vire la bouée des Bœufs.
    A 14h, on prend la cape devant Pornic en attendant le jusant.
    A 16h, on est amarré dans le Vieux Port.
    Je n'ai pas voulu aller dans la marina. Je la connais, elle est moche et respire l'ennui. Le Vieux port, c'est autre chose. On est dans la ville, on peut bavarder avec les passants.    L'entrée s'est faite doucement, moteur au ralenti. Pour voir tout. Un tour pour voir. Pour savoir où se mettre à quai sans gêner.
    Sur le quai, il y a beaucoup de monde. C'est bruyant. Des étals nous tournent le dos. Ils sont démontés le soir et remontés de bonne heure le lendemain. On parle avec les gens. On se fait engueuler aussi : le vieux port, c'est réservé aux vieux gréements, paraît-il. D'autres nous soupçonnent de profiter du week-end et de la fermeture de la capitainerie pour échapper à l'écot.
    A marée basse en bas du quai, dans la vase on retrouve la tranquillité. De même que la nuit.
    La soirée se passe chez Annick à la Bernerie-en-Retz, l'amie de Michèle qui va la remonter à la maison. Moi, je continuerai seul.
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Dimanche 17 juillet.
    Les petits enfants d'Annick dans le bateau.
    Ils sont heureux. Ils sont partis en exploration la mine réjouie. La cabane ou la grotte aux dix mille trésors. A la barre, ils bravent mille tempêtes, découvrent des îles inconnues.    Le bateau fait rêver les enfants. Et pas seulement eux.
    A la marée haute suivante, les passants. On ne les regarde plus quand ils s'arrêtent devant Jaoul, sinon on est reparti pour redire les mêmes choses en réponse à leurs naïves interrogations. On ne ferait que ça !
    Le soir Michèle fait son bagage.

SMS :
    – Suis à Pornic dans le Vieux Port depuis hier. Michèle a débarqué. Cherche fenêtre météo pour partir. Rien de favorable avant mercredi.

Lundi 18 juillet.
    Je vais à pieds jusqu'à la mer pour relever la direction du vent et sentir sa force. Peut-être des bords à tirer, un près très serré sûrement.
    Moteur au ralenti. Les aussières à larguer, les dérives à baisser, les aussières à lover. Le dernier petit cordage qui me retient à l'échelle du quai est défait. A l'avant, je repousse le quai, Jaoul pivote. Je saute à la barre. La manette des gaz. 9h40, le départ.
    Je retrouve de la mobilité et ça me plaît. Le vent me souffle à nouveau sur le visage. Les choses s'animent.
    Dehors, vent d'ouest 4 à 5. Le travail habituel de rangement des pare-battages, de mise bout-au vent du bateau afin de hisser la grand-voile et le cap à donner au pilote électrique.
    Moteur jusqu'à parer la Pointe St Gildas.
    Puis un bord au suroit, un autre au noroit.
    Le moteur de nouveau.
    Traversée du chenal d'entrée en Loire. Des cargos en rade. Là-bas, St Nazaire. La mer brun-vert, l'eau trouble.

SMS :
    – Un peu de repos avant la longue traite en solo. As-tu trouvé la prise d'air du moteur ? Nous pensons à toi souvent. Tu navigues seul mais nous sommes avec toi.
    – Oui, j'ai changé une durite et le filtre décanteur à Yeu. Suis au moteur à remonter un vent d'Ouest vers Belle-Île.
    – L'important, n'est pas que tu sois à Carentan le jour dit mais que tu retrouves le contact avec toi-même et la mer et Jaoul. Michèle te rejoindra avec la petite. (La petite, c'est Salomé ma petite fille que Michèle doit accueillir le premier août à la maison et j'aimerais y être aussi.)


    A la voile.
    Un bord vers le plateau du Four, l'autre vers l'ouest. J'espère Belle-Ile. Si ce n'est pas Le Palais, au moins Port Maria, ce serait bien, ou Port Andro. Non Port Maria, c'est mieux.
    Le vent refuse vers le sud en faiblissant. Le bord qui porte à terre pointe Hoëdic. Belle-Île sort de ma tête. C'est Hoëdic à présent. Ou Houat. Ou les deux. Non, pas assez de temps pour visiter les deux. Houat, alors !
    Devant Hoëdic, je ramasse la toile et démarre le moteur.
    La plage de Tréac'h ar Goured. Ça fait drôle à prononcer. C'est le soir. Je mouille devant la grande plage de Houat.
Cliquez pour agrandir l'imageSMS :
    – Suis mouillé devant Houat ce soir. Gros dodo assuré. Demain, exploration de l'île.

Mardi 19 juillet.

SMS :
    – Je suis avec toi en pensée. Ta navigation me fait du bien. Bonne exploration de Houat. Dis-moi comment est l'île ?
Vent de noroit force 5 à 6. Le clapot et le vent ne me donne pas envie de mettre l'annexe à l'eau.


    Quarante bateaux au mouillage.

Mercredi 20 juillet.
    Moins de vent mais un temps de cochon. 10 bateaux au mouillage. Visite de l'île sous la pluie. Photos sous la pluie en veillant à ne pas mouiller l'appareil. Le midi, je mange au restaurant. L'effet du temps est impitoyable pour ceux qui vivent du tourisme. Ce midi, je serais le seul client.


     Il y a plusieurs dizaines de milliers d'années, la presqu'île de Quiberon s'étendait vraisemblablement jusqu'à l'actuel plateau du Four, englobant alors Houat et Hoëdic, et formant ainsi une mer intérieure dont le littoral, boisé, fut peuplé dès l'ère mésolithique (il y a environ 8 000 ans) ; la torche de la Teignouse y servait déjà de repère.
     A l'époque gallo-romaine, la population de l'île commerçait déjà avec les Vénètes. En 56 avant Jésus Christ, au cours de ce qui fut l'une des plus importantes batailles navales de l'Antiquité, Jules César, qui commandait les manœuvres de la côte, affronta les Vénètes qui furent vaincus et traités impitoyablement. L'île de Houat, ainsi occupée pendant 500 ans par les Romains, prit nom de Siata.
    La tradition dit qu'au VIème siècle, quittant sa terre de Grande-Bretagne, Saint Gildas accosta en terre de petite Bretagne, sur une île inhabitée du nom de Hoiata. Des pêcheurs découvrirent l'ermite, et firent son renom dans tout le pays. Il s'installa à St Gildas de Rhuys et y fonda un monastère. Un jour, où il séjournait à Houat, la nourriture vint à manquer ; entouré de quelques religieux, Gildas fit sauter des soles sur la grève. L'une d'elles laissa dans le roc une empreinte inaltérable. Le miracle était advenu : Gildas était un saint. St Gildas mourut le 29 janvier 570.
    Au XIIIème siècle, l'île reprit force et vie, après une longue nuit de guerres et de famines. La situation du prieuré de Houat devint même florissante, attirant plus tard les écumeurs des mers.



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SMS :
    – Hier, trop de vent pour débarquer et ennui de bruleur qui fuit. Aujourd'hui, j'ai débarqué sous une pluie battante. Odeur épicée des immortelles, fragrance des fougères, sable humide. La lande sur une île rocheuse, des ajoncs, des cyprès, des tamaris sculptés par le vent. Des criques sableuses. Un village avec des maisons coquettes, jardinets ouverts, avec des objets, des vélos, des poussettes posés là sans souci de vol. Sensation de vie communautaire, comme à Sein ou aux Scilly malgré la noria des bateaux vomissant leurs touristes.
    Rentré au bateau trempé comme une soupe. Chauffage pour sécher. Le problème avec la pluie, c'est les lunettes : avec on y voit rien, sans, non plus. Hier, 40 voiliers dans la baie, aujourd'hui 10. Le temps sans doute. Mais faut rentrer et noroît pour les jours suivant : galère !


Jeudi 21 juillet.

SMS :
    – Le temps se ressuie. Eclaircies à Bordeaux. J'ai regardé le Morbihan sur le Net. Les îles : magnifiques ! As-tu déjà navigué dans le Golfe ? Je te souhaite bon vent.
    – Fait beau. 80 voiliers ancrés dans la baie à l'est de l'île. Demain, à l'aube, départ avec vent dans le nez. Tant pis ! Le golfe du Morbihan ? Jamais en voilier.
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Dans l'église St Gildas
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    Le soleil est revenu, les bateaux aussi.
    Je parcours l'île d'un bout à l'autre.
    Au retour, l'annexe à remonter sur le pont à l'aide de la drisse de spi. Le moteur à ranger dans le coffre de cockpit bâbord. Retourner l'annexe et la saisir avec des sangles.
    Je dérape demain matin. Ranger le bateau.

Vendredi 22 juillet.
    8h. Départ au moteur de Tréac'h ar Goured.
    L'île d'Houat par le nord. Il fait beau.
    Passage du Béniguet. Des bateaux de pêche dans le courant, des gars seuls à la manœuvre.
    Au loin Le Palais.
    Puis Sauzon. Je n'aurais pas pu mouiller à Sauzon sans payer car ils ont couvert la rade de bouées et interdit le mouillage ailleurs. J'ai appris qu'ils voulaient faire pareil à la grande plage de Houat. Cupidité savamment dissimulée par le souci d'apporter un service aux navigateurs de plaisance ; les peuples premiers s'en souviennent.
    Moteur jusqu'aux Poulains pour passer Belle-Île, puis un bord au large au près serré cap au 230°. Mer belle. Il est 11h30.

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SMS :
    – C'est parti ! Doublé la pointe des Poulains au moteur. Voile à présent, cap 230° à 3,7 nœuds. On n'est pas rendu.
    – Escale dans l'Odet avant d'affronter Sein ? Nous te souhaitons une navigation pleine de sens. Demain, nous partons à Saintes pour la noce. Temps gris et froid.


    16h, virement de bord. Nouveau cap : 350°
    Puis 355°.
    Le soir. Les phares de la côte s'allument. Groix par le travers tribord. J'avais espéré Penfret avant la nuit pour y dormir.
    22h30. Le vent faible refuse d'un coup.
    Virement de bord.
    Le nouveau cap ne permet pas Penfret. J'abats un peu et vise le sud de l'archipel. La bouée cardinale sud « Jument de Glénan » dans le 263.

Samedi 23 juillet.
    Nuit noire et douce. La lune se lève. Pas assez grosse pour éclairer la sombre présence de l'archipel. Sa masse noire dans l'encre de la nuit avec sa ceinture d'écueils sournois.    Les îlots éteints, d'ordinaire ourlés de plages blanches et de roches brunes, vertes et noires. Le lagon bleu, éteint lui aussi. Scintillement d'étoiles au répons des bouées qui bornent l'archipel.
    La Jument loin devant, petit fanal pâlot. Elle tarde à venir. Jaoul calé sur son bouchain ouvre une obscure blessure qui se referme aussitôt dans le gargouillis des tourbillons de poupe.
    Elle vient. 6 scintillements 15 secondes.

SMS :
    Je répond à la question du SMS précédent :
    – Non, St Evette près d'Audierne. Je suis en train de virer la bouée sud des Glénan. Guinchez bien à la noce !  (Le mariage de Régis, le fils de Christian et de Catherine. Même prénom que le mien.)

    Elle passe. On n'y pense plus. Plus jamais. C'est devant que ça se passe, toujours devant.
    C'est le temps de border au mieux. Régler le pilote et l'éteindre ensuite. Jaoul se débouille seul et suit les variations du vent.
    Puis avec le jour et le soleil, les habits à enlever, les bottes.
    Température encore fraîche dans le bateau : 14° Celsius.
    7h45. 47°41 ;9N et 4°38,4W. Sur l'écran de l'ordi, on est là. Je note la position.
    Un peu sur cette route encore puis virement de bord.
    St Evette, quelque part là-bas. Dans quatre ou cinq heures.
    L'atterrage sur Ste Evette me tire d'un bon livre que je lisais adossé au rouf à l'abri du vent et calé par trois coussins. Finie la quiétude du près qui avait réussi à me gagner. Par  petit temps le bateau file tout seul sans tangage ni roulis. Je redoutais le louvoyage à cause de sa lenteur qui use les nerfs. Eh bien non. Calé sur la route dégagée des bords longs qui portent au large, on ne pense plus à la longueur du temps. On habite son bateau comme une maison et c'est tout. Le chemin qu'on parcourt devient alors accessoire.
    St Evette déjà ! Comme une contrariété puisqu'il faut que je me bouge. La procédure d'arrivée une fois de plus. C'est le gros travail de la journée.
13h. L'ancre tombe.
    Puis c'est le repas, copieux, gourmand. Ensuite les calculs, la météo, pour demain franchir le raz de Sein et fixer le moment du départ.
    15h. Au lit.

Dimanche 24 juillet.
    Vent d'ouest 2 à 3 Beaufort. Puis ONO 3 à 4 dans l'après-midi.
    A 3h, le réveil. Merde, le brouillard !
    A 5h, l'ancre est remontée. Grand-voile haute. Moteur.
    Navigation délicate. Prise de repère, vérification.
    Une fois en dehors de la rade, pilote en marche, la navigation se fait à l'écran de l'ordi et la veille dans la bulle au-dessus, debout sur un marchepied pliant.
    La côte à longer. La hauteur d'eau à vérifier, selon les lignes de sonde. La carte, l'écran. Le radar aussi.
    Dehors, on ne distingue rien. Ensuite, le bas d'une falaise. Un trou. Puis la Vieille. Elle est proche. Un lumignon en haut. Tout pâle.
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    Un trou puis la plate. Attention au courant qui porte dessus.
    Plein nord enfin. L'attention peut se relâcher et prendre des photos devient possible.

SMS :
    – Dodo 12 h à Ste Evette, à l'entrée d'Audierne. Puis lever 3h du mat pour embouquer Raz de Sein et Four sur une marée. Voile et moteur car faut pas descendre sous 6nds. Pas de visi : tout à la carto GPS et au radar.

    Une masse sombre, un cargo sort de Brest. Image correcte au radar mais pas d'écho des bouées. Quand je règle le radar pour obtenir l'écho des bouées, j'ai beau régler les boutons pluie et vagues afin de diminuer au maximum les échos parasites, l'image des bouées cardinales de la Vandrée et du Goémant reste difficile à obtenir. La trace GPS sur la carte électronique est plus sure. Impression de naviguer à tâtons. Le bruit du moteur empêche la veille auditive.
    Entre les Vieux Moines et la Fourmi.
    Le tournant de Lochrist.
    La Grande Vinotière à viser ouvert à l'ouest. Entre écran d'ordi en bas et veille sur le pont, je monte et descend sans arrêt quand soudain, un canot de la gendarmerie vrombissant sort à toute allure de la purée de pois et me coupe la route. La frayeur de la collision possible, la surprise aussi, m'a fait hurler tout haut une bordée de jurons à l'encontre des représentants de l'ordre et, en principe, de la sécurité. Ils sortaient du Conquet.
    Tremblant, je reprends : la Grande Vinotière.
    L'alarme radar n'a pas sonné au passage des gendarmes. Elle ne sonnera pas plus au déboulé des voiliers en sens inverse. Mais, ceux-ci sont faciles à éviter grâce à leur vitesse peu élevée.
    Je règle le radar au plus fin. L'alarme sonne au moindre écho de vague. Sans intérêt. Je règle moins finement.
    Dans le Four, je tombe au milieu d'une flottille de petits canots de pêche qui n'a pas déclenché l'alarme radar. Encore une bordée de jurons à l'adresse de ces pêcheurs du dimanche qui sortent par temps de brume et s'arrêtent au beau milieu d'un chenal de grande navigation.

SMS :
    – Bientôt sorti du Four et plus de réseau avant Cherbourg.  Bientôt voiles seules. Mais purée de pois.
    – Bravo. A la noce, vu Thomas avec qui Régis (le fils de Christian) a fait le Horn. Son projet : Groenland. C'est un pro amoureux des hautes latitudes. Je vais lui parler de toi ce midi.
    – Attention, je suis petit joueur face à ces mecs-là !


    La brume légère succède à la brume épaisse. Eau lisse, vent faible. Le moteur est retourné au silence. Les voiles lissent le vent.

SMS :
    – Petit temps, mer belle, vent de travers, c'est l'allure idéale pour apprécier le voyage en mer.
    Christian répond au SMS précédent :
    – Non, tu n'es plus un petit joueur. Tu as la carrure. Il a déjà hiverné dans l'Arctique. S'il y a des atomes crochus entre vous…

Lundi 25 juillet.
    Veille au radar dans la nuit. Des chalutiers font sonner l'alarme. Tour de veille dehors et attente du dépassement des bateaux.
    Au petit jour, l'alarme radar. Un chalutier devant présente son flanc. Quand il vire et présente sa proue, l'écho disparait de l'écran. Appareil peu fiable, méfiance.
9h45. Position : 49°13,45'N ; 3°11,46'W. Route : 66°. Vitesse : 2,4nds. Vent : ONO. Allure : grand largue.
    Plus tard, au près bon plein, je double un chalutier dieppois en action de pêche. Personne à la passerelle. Quand les types au travail me voient, surpris, ils agitent les bras en me faisant signe de m'éloigner. J'imagine les propos fleuris. Mais je suis passé déjà.
    14h, plus un poil de vent. Temps ensoleillé et chaud. Guernesey en vue.
    17h15, arrivée au moteur dans Havelet bay, sous le Château Cornet inclus dans la jetée sud de St Peter Port.
    Repos.
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    Calcul de la navigation de demain. Détermination de l'heure du départ.
    Repos.

    Le bras de mer qui sépare la Grande-Bretagne de l'Europe continentale, a dit-on été nommé Manche britannique par métaphore avec le nom commun manche qui désigne la pièce de vêtement dans laquelle s'enfile le bras. Bien qu'en 1768, Antoine-Augustin Bruzen de la Martinière répertorie dans son grand dictionnaire géographique, historique et critique, plus de quinze Manches, l'usage va tout au long des siècles suivants restreindre le mot à la simple dénomination de la Manche britannique, les autres bras de mers étant appelés détroit et canal en fonction de leur taille.


Cliquez pour agrandir l'imageMardi 26 juillet.
    12h30, départ.
    Grand-voile haute et moteur. Vent de nord, vent debout ou presque. Le Petit Russel. Là-bas, la tour ronde de Bréhon. Herm et Jethou. Serq au fond.
    Un vieux gréement vient en sens inverse, c'est Lulu, un vieux langoustier de St Vaast. Le gars parle souvent sur un forum voile que je fréquente. Ce n'est donc pas un inconnu.      On se croise. On ne se reconnait pas.
    Au sortir du Petit Russel, je déroule le génois et fait porter les voiles bâbord amure.
    A 16h, le banc de la Schôle.
    Puis le vent refuse du N au NNE. Le cap n'est plus possible à tenir et le moteur est nécessaire pour franchir le Raz Blanchard si je ne veux pas faire du sur-place ou repartir en arrière pendant six heures. 
SMS :
    – Que deviens-tu ? Sommes revenu de la noce un peu fatigués. J'ai parlé avec Thomas qui débarquait de 70 jours de mer. Iras-tu à St Ouen à ton retour ?
    – Je viens de virer la Hague. J'ai relâché 18h à Guernesey. Je mouille ce soir à Omonville pour 18h. Petit temps. Vent de N à NE. Beaucoup trop de moteur. Oui, je rentre à St Ouen.


    19h, prise de coffre à Omonville–la-Rogue.
    Vent nul. Dans la nuit, l'anneau métallique de la grosse bouée conique ne cesse de cogner dans la coque. Je la bride contre le pavois en intercalant un pare-battage en long. Le silence revenu, je m'endors.

Mercredi 27 juillet.
SMS :
    – Quitte Omonville pour Carentan, la dernière étape. Peut-être échouage en baie des Veys si trop tard pour écluser. Vent nul. Moteur forcément.

    Pas grand-chose à dire de ce trajet terminal si souvent emprunté qu'il se confond avec tous les autres, avec l'envie à chaque fois d'être déjà rendu. Comme d'habitude, pare-battages, amarres à poste et réglées pour l'écluse avant d'embouquer le chenal. Voiles ferlées.

Jeudi 28 juillet 2012.
SMS :
    – Aujourd'hui Carentan. Soleil. Vélo dans la ville calme pour aller acheter du pain frais. Fin du voyage. A bientôt. Gros bisous.
    – Nous sommes heureux pour toi. Je vais t'écrire plus longuement sur Internet quand tu seras à St Ouen. Repose-toi bien.



Fin (momentanée) de la liberté du pérégrin et retour à « l'habitat qui interdit la marche ».



Régis Lesage  - St Ouen de Thouberville,  lundi 19 février 2012




  Ce texte est disponible au téléchargement en fichier PDF de 26 pages A4 paginé pour être imprimé en recto-verso (1,8 Mo). Il est gratuit mais je souhaite  une contrepartie : celle de me donner en retour (sur jaoul27@yahoo.fr) vos impressions sur ce texte en vous présentant de manière à ce que je vous connaisse  un peu. Merci.
Bonne lecture !

Jaoul à Bordeaux