Carentan - Scilly - Iroise - Bretagne nord - Ouest Cotentin - Carentan

Croisière en solitaire

-  ETE 2007  -



            Départ de Carentan dimanche 22 juillet à midi avec l'intention d'échouer à St Vaast dans la baie de Saire devant Réville. 
        Une fois à Réville et Jaoul échoué sur un immense banc de sable (voir photos), je me suis couché béat pensant quitter le lendemain vers 7 heures. C'était sans compter sur un vent de sud-est (rare) qui me réveilla à 2h du matin tandis que la mer montait. Le vent entrait dans la baie et soulevait un vilain clapot qui faisait tosser durement Jaoul. Je craignais qu'il ne s'abîme. Il fallait déguerpir au plus vite une fois qu'il flotterait. Mais à quatre heures du matin, on ne voit rien pour parer les dangers qui gardent l'entrée de la baie. Il me fallait attendre le jour.
            Et la marée avait recommencé à descendre bien avant l'arrivée du jour. Il ne restait que 20 cm d'eau sous la quille quand je pris la décision de me mettre là ou je pensais y avoir plus de fond. J'ai manœuvré  avec frayeur parmi des bateaux mouillés là dans une nuit parfaitement noire. J'y allais au pif.  Bien m'en a pris. J'ai eu plus d'eau à descendre pour attendre le jour.
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          Puis j'ai appareillé avec seulement trois heures de sommeil et un vent portant qui m'a mené au large d'Aurigny. Là j'y ai vu ce que j'ai d'abord pris pour un couple de dauphins se poursuivant. Puis un autre couple faisant la même chose. Et trois autres encore. J'ai fini par comprendre qu'en fait de couple c'était un seul animal. Un requin. Des requins pèlerins de 5 à 6 mètres de long.
          Puis le vent est tombé et j'ai franchi le rail montant des cargos au moteur en faisant route plein ouest vers les Isles Scilly. Le vent a repris un peu plus tard du nord ouest. J'avançais à une allure de bon plein. J'avais pris la décision de ne pas faire relâche dans un port de Cornouailles tant que le vent resterait favorable et j'essayais de gérer au mieux mon repos.

          Donc, la nuit du lundi 23 juillet au mardi 24, je l'ai passée sans dormir, me reposant quand même à l'intérieur du bateau  tout en assurant une veille chaque quart d'heure. Parfois, quand au radar je n'avais aucun écho signalant un navire à moins de seize mille, je me reposais une heure durant. Au matin du mardi, le vent tourna à l'ouest. Je l'avais dans le pif. J'ai donc tiré un bord vers la côte Anglaise qui me faisait pointer vers le port de Falmouth. Durant ce bord de près serré, j'ai déchiré mon génois sur les premières barres de flèche. Je me suis retrouvé avec un petit foc génois inter à la place de mon grand génois léger. Ca marche moins bien, évidemment.
          Vers 7 heures du soir, j'entrais à Falmouth, pas dans la marina ; je voulais mouiller sur ancre dans un coin sympa et pas trop loin de l'entrée pour pouvoir ressortir rapidement.
Cliquez pour agrandir l'image          Je remontais donc la rivière de Porthcuil, première à droite en entrant, encombrée d'un millier de bateaux, pour aller jeter mon ancre dans un espace dégagé ; un coude de la rivière. Puis, après un bon repas de pâtes, je suis allé me coucher sous ma couette douillette, complètement vanné.
    Je fus réveillé vers quatre heures du matin, mercredi 25, par une légère gîte et un tossement inhabituel. Je giclai en pyjama dehors et j'ai pu contempler le désastre. Jaoul était échoué, au plain, mais cette fois-ci sur des cailloux. J'en aurais pleuré de découragement. Il pleuvait à seaux et le vent soufflait force sept. Jaoul, poussé par le vent, avait traversé toute l'anse en traînant son ancre au fond de l'eau. Je m'en suis voulu d'avoir mouillé trop court. Couché en dévers vers l‘eau, avec plus de 45° de gîte, la vie n'est plus praticable à bord. Cela devient escalades osées et descentes délicates en permanence. Un travail très pénible. Il me fallait donc aller mouiller deux ancres au large et au vent pour, sinon réussir à sortir de là, du moins, empêcher Jaoul de monter sur les rochers plus encore à la marée suivante.

          Tandis que je gonflais l'annexe sur un lit d'algues glissantes, une femme est venue me voir. Elle allait prévenir son mari pour qu'il vienne m'aider. La marée serait haute vers 3 heures de l'après-midi, il était neuf heures du matin, j'ai donc continué ma tentative de déséchouement.
        Une fois l'annexe gonflée, il fallait le moteur pour parvenir à remonter contre le vent.
        Le lourd moteur à hisser hors du coffre ouvert de biais à cause de la gîte, aucune surface droite sur laquelle poser le pied, je glissais le moteur dans l'annexe suspendu au bout d'une corde que je tenais à la main, puis la nourrice pleine d'essence. Et tout ça sous une pluie battante.
          Le moteur refusa obstinément de démarrer. Ensuite, il refusa de se relever pour éviter de toucher le fond avec l'hélice. J'en avais marre, j'étais fatigué, rien n'allait comme je voulais. J'ai de plus tordu une tige qui est nécessaire au fonctionnement du régulateur d'allure en voulant me cramponner. J'ai donc rehissé le moteur à bord à bout de bras, sorti du coffre et descendu le mouillage de secours avec sa chaîne son ancre et 90m de câblot en nylon dans l'annexe et parti à la rame contre le vent.
        Bon dieu que j'ai souqué ferme. Plus je gagnais contre le vent, plus l'espoir renaissait.  A soixante mètres au large, je larguais l'ancre et le vent aussitôt me ramena sur Jaoul au fond de l'anse. Je fis de même avec le mouillage principal tout en chaîne, donc très lourd. Si le tas de chaîne ne se déroule pas bien, la chaîne rappelle par son poids et on perd immédiatement ce qu'on vient de gagner contre le vent. J'ai donc du refaire deux fois le tas de chaîne pour qu'il aille à l'eau sans résistance.
          Puis, plouf, l'ancre enfin à l'eau.
               
          Il ne me restait plus qu'à attendre la marée. Je n'y croyais pas beaucoup. Le vent soufflait toujours aussi fort et les ancres pouvaient ne pas tenir comme cette nuit même. Je regardais tout un monde s'agiter sur l'eau qui dans des barques qui dans des dériveurs. Personne n'a trouvé anormal de voir un bateau sur le flanc sur les rocher, donc personne n'est venu me donner du secours. Sauf la femme sur la grève. Mais son mari n'est pas venu. Sans doute attendait-il la marée haute pour venir me remorquer ? A marée haute, Jaoul flottait une heure avant et les ancres ont tenu.
          J'ai déséchoué Jaoul seul.
          Le plus dur a été de remonter les deux mouillages. J'en ai mis du temps ! C'était dur, contre le vent ! Au guindeau, le mouillage principal 20cm par 20cm à chaque mouvement du levier à cliquets (le moteur électrique du guindeau ne marchait plus). Et l'ancre de 20 kilos.
        Puis le second mouillage. Dur, très dur. Le câblot à pleines mains. Mal aux mains, mal aux doigts. Jaoul faisait le cerf-volant sur l'eau et menaçait sans arrêt de heurter un bateau voisin que je débordais du pied. Tout effort était difficile et pourtant, je m'économisais, et la pluie et le vent qui siffle dans les haubans.
        Faim, pas le temps de manger.
        Fatigué, pas le temps de me reposer.
        Tout coûte, tout pèse à bord au moins vingt kilos et quant à tirer sur les amarres ou les mouillages, c'est sûrement plus de cent kilos.   
        Puis enfin libre, je suis allé mouiller au vent, loin de l'anse mortelle et cette fois-ci, j'ai mis trente mètre de chaîne et j'ai testé sa tenue à grand coups de marche arrière au moteur. C'est bon, elle croche ! J'ai pu enfin manger un morceau, tout ranger et me reposer…
          Je pense partir d'ici, la campagne Anglaise, ce n'est pas mon truc. Moi, c'est les grands espaces sauvages. Il me faut une météo favorable.
          Je guette l'annonce du bulletin côtier. Je comprends difficilement l'Anglais, mais j'y parviens en anticipant les termes météorologiques. Mais quand la radio fait « criiiiic seven decrease 4 or 3…criiiiiic…south….criiiiiiiiiiic…next twenty four hours….criic…..next forecast at…criiiiiiic » hé bien, c'est plus que le bordel. Et puis France Inter, c'est pas mieux quand t'arrive à le choper vers huit heures et des broquilles, c'est pour entendre une gonzesse déblatérer le bulletin à fond de train tellement ça la fait chier. Et puis quand il y a du foot, elle zappe le bulletin en te disant de quitter les grandes ondes pour passer sur la FM. Mais la FM,  passé 20 milles de la côte, tu ne la reçois plus. Bernique, le bulletin météo ! Ah, les cons !…
                Bon, malgré tout ça, dans ma cabine douillette, je m'endors avec un ouf de soulagement, pensant que les conneries sont maintenant derrière moi. Mais je fais une grosse erreur ! C'est pas du tout comme ça qu'il faut penser. Parce qu'entre deux merdes le répit est de courte durée.

                J'ai dit plus haut que j'avais testé l'accroche de l'ancre ? Eh bien, vers six heures du matin, réveillé par un léger grattouillis métallique venant du fond de la coque, je gicle dehors en un éclair.
        Jaoul est revenu s'échouer strictement au même endroit qu'hier, mais deux heures plus tard. Un passionné de l'endroit, ce Jaoul ! Alors là je suis saisi d'une vraie colère. Je bondis sur le moteur, bafouille dans la procédure de démarrage, démarre et plein gaz en marche arrière. Jaoul est croché par la dérive arrière. Bienheureuse dérive arrière qui empêche Jaoul de s'échouer plus haut. Il me suffit de la relever et à fond en arrière, je dégage Jaoul de l'endroit maudit. Pas le temps de relever l'ancre et ses trente mètres de chaîne. Il faut que je prenne un coffre d'abord.
                Prendre un coffre parmi la flopée de bateaux. Là aussi c'est « rock'n roll ». Surtout en traînant trente mètres de chaîne avec une ancre de 20 kilos au bout. 13 mètres pas plus entre deux bouées. Et les bouées rondes sans rien pour en saisir une,  c'est au lasso qu'il faut les coiffer et là, tu les serres au cou, c'est-à-dire à la chaîne qui pend dessous. Alors tu rates forcément au moins dix fois et à chaque fois, le bateau se mets en travers au vent et menace de jouer aux castagnettes avec ses copains en plastique. Dès que tu rates, faut pas s'attarder, tu bondis sur la manette des gaz et tu recommences la manip.
          Ah, la joie du navigateur solitaire ! Poil au derrière !... Mais ça, c'est quand ça va mieux. Sur le moment, t'es mal. Tu te dis que t'es un branque, que t'aurais mieux fait de rester chez toi à regarder des conneries à la télé. Et puis quand t'es enfin amarré à la bouée, t'es tellement crevé que tu te dis que tu remonteras le mouillage plus tard. C'est alors que tu vois la gaffe se faire la malle.

                Jeudi 26 juillet 2007. Au mouillage sur coffre, en Cornouailles, dans la rivière de Porthcuil, un des multiples bras de la rivière Fal avec Falmouth à son embouchure. Ce matin de bonne heure, après l'échouement  et l'amarrage sur la bouée, je pensais être arrivé au bout de mes merdes, toutes ces merdes qui m'arrivent depuis deux jours. J'en étais là de ce regret, quand j'ai vu une annexe au loin sur l'eau qui ressemblait à la mienne.
        Puis, j'ai vu que le bout qui tenait la mienne attachée au balcon arrière, n'était plus là. Merde, mon annexe qui se barre ! Le vent souffle continuellement à 7 Beaufort dans un déluge de pluie. J'ai tout d'abord pensé à plonger et la rattraper à la nage, mais par ce temps là c'est folie. J'ai donc bondi sur le pont, démarré le moteur en trombe, je ne trouvais plus les commandes de démarrage, puis j'ai retrouvé la procédure, mon esprit était affolé, perte d'une annexe neuve d'une brique, perte d'une gaffe en prenant le coffre ce matin, le génois déchiré avant-hier et le guindeau électrique qui est en panne ainsi que le moteur de l'annexe. J'ai donc démarré le moteur, largué le coffre sur lequel j'étais amarré puis j'ai viré de bord sus à l'annexe frivole.
        Je ne suis pas allé bien loin. Je n'avais pas eu le temps ni la force de remonter les trente mètres de chaîne et l'ancre au bout qui pendait à l'avant du bateau juste après mon deuxième échouement . L'ancre s'était subitement mise à crocher. Adieu donc, mon annexe chérie.
                Pris au piège de l'ancre qui croche, pour une fois, je vis l'annexe s'échouer comme une grande dans l'anse maudite tandis que je remontais l'ancre au guindeau à main, cliquant comme un forcené pensant que j'avais encore le temps de la récupérer.
        Illusion quand tu nous tiens ! 
        Et comment faire pour la récupérer? Le premier qui passe dans le coin va me la tirer c'est sur. Je fais un tour au moteur près de l'endroit innommable. Tiens la gaffe s'est prise du même amour que Jaoul et l'annexe, elle gît à une trentaine de mètre du youyou.
        J'attrape donc au lasso, après moult répétitions, une bouée  proche qui me permet d'avoir un œil sur l'annexe en attendant la fin du mauvais temps pour aller la récupérer avec l'autre annexe, plus petite, ou à la nage. Puis, il se passe quelque chose de bizarre. Jaoul se reprend de passion pour l'anse maudite  et se dirige à nouveau vers elle à coup sur. Dans ces cas là t'as du mal à réaliser. Quand tu vois un coffre et sa bouée en plein milieu de la rivière loin des autres, tu te dis que c'est réservé à une grosse unité, que t'es donc en sécurité. Ben non ! T'as encore tout faux. C'est Kafka ! Le temps de se débarrasser de la bouée de lancer le moulin encore une fois à fond les manettes, t'échappes de justesse à la troisième tournée d'échouement.
        Je suis donc retourné sur la première bouée, de nouveau « rock'n roll » au lasso et là, ce n'est pas une mais deux amarres que je lui ai passé autour du cou. J'ai attaché la seule gaffe qui me reste avec deux bouts plutôt qu'un.
        Cette matinée de jeudi, c'est en pyjama que j'ai fait tout ça. Pas le temps ni ne m'habiller ni de manger. Il est à sécher à présent. Le reste du temps je l'ai passé à faire coucou à des types qui passaient en bateau. Ca a été difficile. Ah ! Comme j'ai horreur de solliciter autrui pour moi ! C'est bizarre, il faut que je dépasse ma gêne,  et les gens sont plutôt sympa, mais moi, je les vois comme hostiles. C'est dingue ça ?
        Un type est venu, il a très bien compris mon anglais mais moi, je ne l'ai pas compris. Il a envoyé un jeune chercher mon annexe. Je l'ai vu  la prendre et la ramener. Il est passé devant moi sans me voir et j'ai hurlé, sifflé avec un sifflet attaché à mon ciré. J'ai pensé que je ne reverrais jamais mon annexe à une brique, que j'allais me trouver con chez mon shipchandler à Rouen en train d'en commander une autre, et de lui expliquer que pour moi, les annexes,  c'est du consommable. Tout ça dans ma tête, quand dans le vent et la pluie, le gars m'a vu ou entendu et avec un large sourire me donna le bout de saisine de l'annexe quand il fût près de Jaoul.
        Je l'ai remercié mille fois.
        Je l'ai invité à bord, il a refusé.
          Ensuite j'ai rattaché l'annexe au bateau avec deux bouts  dont les noeuds de chaises ont été assurés par des demi-clés. Je n'ai pas demandé de ramener aussi la gaffe, j'ai trouvé cela mesquin pour un type qui se dévoue dans un temps pourri.
                Et puis, la dernière connerie en date : je voulais écrire sur mon ordi toutes ces merdes arrivées, je ne voulais pas utiliser le convertisseur 12volts continu/220V alternatif trop gourmand en électricité pour l'alimenter, j'avais acheté un convertisseur 12V/18V pour économiser l'énergie des batteries du bord. Et depuis deux heures, j'étais entrain de bricoler une prise qui s'adapte à la prise 12V du bord. En 12V continu, comme sur les voitures, si on inverse le plus et le moins on grille les appareils. J'avais repéré mes fils avec le plus grand soin et marqué au feutre les signes plus et moins quand, content d'y être parvenu, je branche la prise. Merde, je l'ai branchée à l'envers, le plus sur le moins etc. Le verdict est tombé : mon convertisseur est mort. Heureusement, je n'ai pas branché l'ordi directement sur le 12 V.
                Qu'ai-je au fond à retenir de tout ça, je veux parler de mes merdes qui s'enfilent mieux que des perles ? L'épreuve de la réalité. Fini la rêverie. Place à la grande initiation du réel. C'est la valeur de la vie. La vie, nos rêves à réaliser sont la vie vraiment vivante et les épreuves sont là pour mesurer notre détermination à poursuivre malgré tout. C'est aussi cet apprentissage de l'attention aux choses, à la rigueur qui me fait défaut. «  On verra bien en route ! » Ben, non. En mer, il faut tout prévoir avant. J'ai du mal avec ça, la rigueur. J'aime particulièrement le flou, les demi-teintes, les onctuosités, les couleurs chatoyantes, les pastels aussi, la curiosité, les sensations, la vie intérieure avec ses clairs obscurs.  C'est dans ces franges du réel, dans la poésie des choses que je me sens à l'aise mais dans la crue réalité  de la mer et des éléments trop puissants pour notre petite humanité, je me sens tout à coup impuissant, défait.
                Quand je pense aux soixante briques du bateau : ce n'est rien ; à tout l'investissement affectif, à l'attente d'une dizaine d'année : ce n'est rien. Ce qui compte, c'est de vivre ce qui m'est demandé de vivre. Le reste, c'est rien. Si je rentre sans bateau, c'est pas grave : j'aurais vécu ce que j'aurais pu. Il n'y a pas d'inquiétude à avoir. L'inquiétude, ça te bouffe plus de soixante pour cent de ton énergie au moment où tu en as le plus besoin.

                Vendredi 27 juillet. Porthcuil près de Falmouth. La nuit a été bonne. Pas de merde cette fois-ci… Tiens, je viens de lâcher mon récit sur l'ordi pour répondre à la visite d'un coast-guard à qui on m'avait signalé en détresse.  C'est « a little bit too late ». C'est avant-hier que j'aurais voulu les voir... Je disais donc que la nuit avait été bonne, le vent s'est calmé et j'ai fait un rêve dans lequel je travaille dans la communauté d'Emmaüs. Il y avait l'Abbé Pierre aussi. Ca vient corroborer ce que je ressentais, avec mon rêve de bateau. Je suis un mendigot de l'amour et de la vie, je suis un démuni et je travaille dare-dare à sauver ce mendigot que je suis. Voilà le sens du rêve.
          Dimanche 29 juillet; au mouillage de Porth Cressa, île de Ste Mary des Scilly. Un bruit de chaîne. Je gicle dehors : une grosse goélette hollandaise qui ressemble à une tarte au citron vient d'arriver. On commence à se mélanger les paupières par ici ! Faut voir les gribiers, quand il fait beau, ils rappliquent tous, mais hier soir, alors que ça piaulait dur, il n'y avait personne. J'étais seul.




Les îles Scilly

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          Je suis parti vers six heures du matin de mon mouillage forcé près de Falmouth. Il faisait beau.
          Et jusqu'au cap Lizard, j'ai pu mettre les voiles. Petit matin sur la mer avec une lumière étonnante.  J'étais content de reprendre la mer. Puis moteur ensuite. Et juste après Wolf Rock, un phare juché sur un caillou isolé en Manche, un putain de vent s'est  levé du sud ouest  si bien que, lorsque j'ai mis les voiles, j'ai pris deux ris d'un coup dans la grand-voile.
          Près serré, vent de force sept et pluie battante qui abaissait la visibilité à moins d'un mille. J'étais dans une telle boucaille, que les Scilly  me sont apparues d'un coup en un semi de roches acérées. C'est comme si je les avais prises en pleine figure. Il était temps de freiner pour voir où j'étais. J'étais un peu trop nord. Mais je n'ai pas voulu tirer un bord  au large pour  me rapprocher  ensuite de l'entrée sud-est des îles, j'y suis allé en route directe au moteur.
        Il y avait une telle mer et un tel vent (force huit) que j'ai mis trois heures pour faire trois milles. Un moment, j'ai douté de ne pouvoir entrer dans l'archipel. Surtout que le pilote côtier (portulan) recommandait de ne pas approcher les îles par mauvais temps et de se replier sur Penzance.
        Finalement, j'ai trouvé l'entrée. Avec un vent de sud-ouest, je voulais m'abriter au port de Ste Mary et sous la flotte, la barre d'une main, la carte de détail des Scilly dans l'autre, j'ai réussi à choper la météo de France Inter. Ils annonçaient des vents virant à l'ouest puis au nord-ouest. Impossible dans ces conditions d'aller au port de Ste Mary ouvert au nord-ouest. J'ai donc fait demi-tour et après avoir pris des alignements pour parer les cailloux qui gardent l'entrée, j'ai mouillé devant la plage à Porth Cressa, comme  24 années auparavant. J'étais seul. Bien abrité des vents et de la mer, j'ai dormi comme un gros bébé jusqu'à ce matin 11 heures. Un temps pourri à ne pas mettre un anglais dehors. Vers midi ça c'est levé. Et l'après midi, le ciel était d'un bleu… 
Cliquez pour agrandir l'image          J'ai débarqué en annexe et j'ai  enfourché mon vélo. T'as intérêt à te souvenir que t'es pas chez toi ici et de rouler à gauche et quand t'oublie, ça te fait tout drôle de te retrouver avec une bagnole en face de toi. Parce qu'ils ont des bagnoles sur une île qui fait quatre kilomètres de long. Mais ils ne roulent pas vite.
                Je suis allé boire une demi-pinte de Lager au Mermaid, une taverne à marins haute en couleurs que tout bon marin connaît au moins de réputation. J'ai pris des photos de l'intérieur de cette taverne façon XVIIIième  siècle quand on saoulait les marins pour les faire signer de force un embarquement. On appelait ça « shangaïer».
        Lundi trente juillet, au mouillage de Porth Cressa, île de Ste Mary des Scilly. Grand beau temps, on arrive au nombre de 20 bateaux au mouillage. Des Français, des Hollandais et des Anglais « of course ». Ils se baladent tous avec leur mobylette gonflable. J'ai donc sorti mon moteur d'annexe pour me balader moi aussi. J'ai tenté de le faire démarrer, je suis parvenu à le faire tousser mais j'ai pété la commande des gaz et puis la manette de starter. C'est de la merde, ce berlingot, je l'ai acheté trois mille balles sur Ebay ! J'aurais mieux fait de garder mon fric et d'investir dans un moteur neuf. Ce n'est pas le coup des trois mille balles perdus, mais plutôt le fait que j'ai besoin d'un moteur pour aller avec mon annexe neuve que j'ai achetée pour marcher au moteur. Et c'est maintenant que j'en ai besoin, pas cet hiver, pour aller voir de près des rochers inaccessibles autrement. Pour aller pêcher. Donc j'ai passé tout l'après-midi à essayer de faire marcher la bourrique. En vain. Et la matinée, je l'ai passée la tête à l'envers dans la baille à mouillage pour tenter de réparer le guindeau électrique. J'y suis parvenu. Toutes les connections électriques étaient bouffées par le sel.
                Ca fait plus de huit jours que je suis parti de Carentan et je n'ai pas le sentiment d'avoir fait grand-chose. Il faut que je bouge. Demain, je vais à St Martin's. C'est une île avec de grandes plages de sable blanc (photos).
                Hier soir, dans la nuit, j'ai vu une énorme lune rousse éclairer le mouillage. C'était d'une beauté et d'un mystère, de voir l'eau comme un miroir et les silhouettes des bateaux posées dessus se découper sur les lointains de rochers en lignes brisées.
                J'ai une passagère clandestine à bord. Elle est là depuis Carentan. Je ne sais pas comme elle a fait pour passer sans dommage dans la baston. C'est une petite mouche domestique.
                Je sens que deux jours à Porth Cressa sont largement suffisants. Il faut que je me bouge. Puis, je sens comme un enfermement en moi. Insidieusement, je me bloque dans la solitude. Du genre, il faut que t'assume ta solitude. Ca a fait « Tilt » ! J'ai une envie de compagnie. Oui, mais j'ose pas déranger. J'ai rien pour accueillir. Je n'ai pas d'alcool ni de vin. J'aurais du y penser. Mais voilà, je me suis enfermé dans cette idée de solitude dès le départ. Bon, il y a peut-être du café dans le bateau ? Je cherche… Moi du café ? Je prends du Ricoré en poudre. Alors, tu penses ?… Je finis par en trouver dans une boite hermétique. Je pense que depuis le temps, il ne doit plus avoir de goût. Tant pis, j'invite quand même. Mais qui ?  A côté, un joli petit bateau de huit mètres, un Armagnac. Un type sur le pont est entrain de gonfler son annexe. De l'autre côté, des gens de Brest en équipage nombreux .Ils sont sympas. Aïe, la femme sur le pont boit son café. Tans pis j'essaie avec le type du bateau bleu, français aussi, c'est mieux pour parler.
                Il a accepté mon invitation et un quart d'heure plus tard, il arrive en annexe avec sa femme. Ils partiront deux heures après. Après avoir échangé sur nos bateaux respectifs et nos aléas dans la croisière. « Merci pour le café, il était bon ! » m'a dit la dame. J'avais dosé au pif, je ne fais jamais de café. Voilà un acte posé, qu'il est juste ! (je saurais plus tard que j'avais envie de la gaîté qui régnait sur l'autre bateau avec l'équipage nombreux, mais je me suis bloqué avec l'idée qu'ils avaient déjà bu leur café). Maintenant, faut bouger. Pas rester là ! Je lève l'ancre vers 11 heures, direction St Martin's.


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          Ile de St Martin's. Je vais dans 1m50 d'eau cristalline jusqu'à ce que Jaoul touche le fond. Puis je descends prendre mon premier bain de l'année, à poil au milieu de nulle part. Sable blanc, ciel bleu azur, eau turquoise et taches vertes des herbiers de posidonies. L'eau est fraîche mais on s'y fait. Je nage autour de Jaoul vois l'endroit ou il a tossé sur un cailloux durant ma fortune de mer. Le métal est blanc, enfoncé de deux centimètres sur dix de long. Ce n'est pas grand-chose, mais tout de même, ça me fait mal !  Plus loin, un vaste banc de sable cerné d'eau. J'y cale le nez de Jaoul.

Cliquez pour agrandir l'image          Un banc qui rétrécit à vue d'œil avec la marée montante. Image d'îlot désert en plein Pacifique. Manque la chaleur, c'est tout ! Je reste à contempler l'îlot se faire manger. Quand tout à disparu, je lève l'ancre pour l'île Tean où je vais passer la nuit (photo). Une île déserte une fois que les touristes sont repartis.
          On les dépose le matin avec une navette puis on les reprend le soir. Le lendemain, ils feront une autre île.
          Je cause avec une vieille Anglaise. Ca fait trente six ans qu'elle passe ses vacances aux Scilly. Moi je ne pourrais pas.
          La navette les reprend tous, l'île m'appartient. Je monte à son sommet rocheux. La vue est imprenable sur cet immense dédale de rochers et de criques sableuses. J'en fais le tour.  De pointe en anse. Puis je regagne Jaoul à la rame. Je mange puis j'écris…
                Il n'y a plus une ride sur l'eau, il est dix heures et le soir tombe dans un flamboiement de couleurs à l'horizon. Tout est calme… Je vais me coucher. Demain, je ne sais pas ce que je fais.
          Mardi 31 juillet, au mouillage sud de l'île Tean. Journée exceptionnelle avec un ciel pur et une lumière éblouissante.
          Je me suis réveillé ce matin avec un rêve : une femme me dit que sa copine a disparu en laissant un trésor qu'il faut aller chercher en  prison. Des mafieux vont m'aider à pénétrer en prison. Pour cela, ils me menottent. Mais au lieu du trésor, ce sont des coupures de journaux relatant la mort de cette personne. Quand les mafieux s'en aperçoivent, ils filent rapidement.
          Voici mon interprétation : une partie de mon âme a disparu. Je pense, à l'aide de mes peurs et de mes habitudes ataviques, retrouver ce qu'elle a de précieux pour moi. Mais, en cherchant en un état de non liberté, je ne trouverais que les circonstances de sa mort. Oui, bien sûr. Ce n'est pas chercher cette âme disparue qui la fera renaître mais c'est la faire vivre.
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                Vendredi 3 août, au mouillage de « the Cove », île de St Agnès (photos). J'écris après une longue interruption. C'est le matin et je vais quitter les Scilly en début d'après midi. Cap au 160° vers Ouessant. Une centaine de milles, donc près de 20 heures de mer. J'ai envie de visiter Ouessant. Puis j'irais ensuite à Molène. Après, je ne sais pas…
                Quand je disais, mardi dernier, que tout était calme le soir à l'île de Tean, eh bien, j'ai été réveillé à deux heures du matin par Jaoul qui s'est subitement couché sur le côté. D'un coup, j'ai eu le moral dans les chaussettes. Et ça a duré jusqu'à ce que la marée montante le redresse deux heures plus tard. 
        Durant ce temps, j'ai réfléchi à la solitude. La solitude rend les affects et tous les mouvements de l'âme beaucoup plus perceptibles. En fait, quand j'ai dit que l'acte à poser d'inviter des gens à bord pour rompre ma solitude était juste, je me rend compte que j'avais non seulement envie de compagnie mais plus encore de gaieté. Et c'est l'image des femmes se marrant, de l'équipage de l'autre bateau, qui persiste en ma mémoire. J'aurais du inviter cet équipage de joyeux  lurons. Ce n'est pas dit qu'ils auraient pu  répondre à mon invitation.
        C'est durant ce temps de redressement de Jaoul à l'île Tean qu'a commencé aussi a se posé plus fondamentalement, en mon esprit, cette question, la seule et vraie question qui persiste aujourd'hui et qui persistera encore longtemps, j'en ai peur : « Régis, qu'est-ce que c'est que cette envie de mer, de bateau de grands espaces vierges et comment comptes tu t'y prendre pour vivre ça ? ». Eh oui, et le « ça » qui est à vivre, je ne sais pas ce que c'est. Pour l'instant, je ne suis pas parvenu à vivre ce que j'avais envie. J'ai parfois de grandes envies de tout balancer, mais je ne le ferais pas. Je veux que « ça » dise quelque chose.
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<-        Dans les jours qui ont suivi ce mardi, à Old Grimsby sound sur l'île de Tresco, j'ai rencontré de nouveau le couple que j'avais invité pour le café, Catherine et Bruno Aizier sur leur petit Armagnac de huit mètres, Tim, et nous nous sommes invités mutuellement à souper. C'est un succédané qui permet de ne pas penser à la solitude mais ça ne répond en rien à mon interrogation première.
Vues depuis l'île de Tresco
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New Grimsby sud
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New Grimsby sound
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New Grimsby nord
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La tour Cromwell
          Les Scilly, c'est magnifique. Sauf que tout est organisé autour du tourisme. Tresco, particulièrement, qui est un jardin des plantes piqueté de cottages à louer. St Agnès est plus sauvage, mais les après-midi, les plages sont envahies par les familles. The Cove est une crique fermée à marée basse par un isthme sableux qui réunit St Agnès à Gugh ;  aujourd'hui, il y a une trentaine de voiliers au mouillage. Alors bonjour, l'intimité avec la grande nature sauvage…
                … Par la descente ouverte, je vois un couple dans une annexe à moteur se diriger vers l'isthme encore recouvert. Ils ont de la chance eux d'avoir un moteur qui marche. On peut en faire des choses avec un moteur. Certes mais moi, c'est quoi mon envie ? Vais-je m'empêcher d'aller voir les eaux de cristal se disputer l'isthme ? Avec, ces « à quoi bon », ces « c'est trop tard », ces « ah ! si j'avais un moteur d'annexe ? », le temps passe et la mer baisse. C'est tout de suite où jamais. Je lâche mon ordi, juste le temps de pisser, et me voilà dans l'annexe ramant vers le banc de sable. Sable fin immaculé, matin frais, eau fraîche et claire légèrement bleutée. Le bas du pantalon trempe. L'annexe à hisser sur la grève. Galets de granit rose, et , dans l'eau, les veines de lumière courant au dessus du fond blanc de l'isthme, vert pale, argentées, dessinant des arabesques, miroitant sur le sable fin. Courbures des bancs lisses qui émergent. L'annexe là, comme un vieux tronc d'arbre échoué.
          Photos.
          Comment rendre ce côté premier matin du monde que j'adore tant ? Je ne sais pas encore faire. Soit trop de soleil, soit pas assez. Et puis, au loin un cargo de touristes déverse sa marchandise sur la cale. Fini, le premier matin du monde, finie la plage au sable lissé. La mer descend, il faut passer à autre chose…

Vues de St Agnes  et de  l'isthme la séparant de Gugh en créant the Cove au sud et Porth Conger au Nord
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                Je suis rentré à bord. Regret : l'annexe à moteur, c'est quand même mieux. En fait, j'aime me balader au raz de l'eau, j'aime ce point de vue inhabituel. Mais il faut ramer en permanence sinon, le vent reprend vite ce qu'on gagne contre lui. Je reprends mon écriture…
                …Il est une heure de l'après-midi. J'avais décidé de lever l'ancre pour Ouessant à 14 heures. C'est un peu court pour finir de méditer sur mon voyage et mes envies de liberté.
                Il est quatre heures de l'après-midi. Marée basse, il reste 2m d'eau sous la quille. Finalement, j'ai laissé passer l'heure du départ pour Ouessant. Comme il fait gris et que le vent est passé  au sud ouest, un peu de houle entre dans l'anse, les trois quarts des bateaux sont partis.  J'en ai profité pour déplacer Jaoul  et mieux l'ancrer au milieu de l'anse sur fond de sable et eau vert pâle. Turquoise quand le ciel est bleu. J'étais sur fond d'algues, une soupe au spaghettis brunâtre, et cette nuit, j'ai tapé sur un caillou. Ce qui m'a obligé à me lever à quatre heures du matin pour reprendre un peu de chaîne afin de m'éloigner des rochers. Avec ce temps moins beau, les touristes ont déserté la plage. Ces éléments-là plus mon tour d'annexe de ce matin, font que je reste ici encore un peu. Je m'y trouve bien mieux.  Je crois que j'étais encore en train de répondre à mon conditionnement de double contrainte maternel qui dit « il faut » et « c'est pas assez » pour justifier mon départ pour Ouessant. C'était une sorte de « c'est nul ici, ce sera mieux à Ouessant ». J'ai donc laissé mon ordi pour me faire une choucroute et boire une bière que j'ai dégustées en terrasse avec vue sur la mer. Ensuite, je me suis assoupi  dans le cockpit calé par des coussins, bercé par la houle.
                Je suis parfois habité par un désir qui ressemble à  « je veux du caviar à tous les repas sinon rien ». L'unilatéralité dans son expression pure. Je crois, pour ma part, que le caviar on peut l'avoir à tous les repas mais en petites quantités. Et que ces quantités-là, elles nous passent sous le nez sans qu'on s'en aperçoive, tellement on est obnubilé par la solution définitive de la grosse quantité qui comble une fois pour toutes. Pour ce qui est de la solitude, c'est effectivement dans la solitude qu'on peut exercer sa liberté. La présence de quiconque dans un environnement proche conditionne obligatoirement nos actes et notre pensée. C'est une sorte de contamination de groupe, une psyché qui n'est plus la sienne ni celle d'un autre mais une psyché collective qui se substitue à soi-même. Je viens d'en faire l'expérience avec ce couple de navigateurs de rencontre. Dans un groupe, soit on est dans un rôle, soit on est  dans une sorte de sommeil bienheureux. La seule solution pour  exister dans un groupe, c'est d'être créatif pour ce groupe. C'est dans cette créativité-là que va s'exercer la liberté.
                Moi, je suis seul et libre de faire ce que je veux de ces cinq semaines… Arriver à concrétiser un rêve, puis voir comment on va pouvoir le vivre, c'est réunir les conditions idéales de l'exercice de la liberté... Et je peux dire que la liberté, ce n'est pas une chose évidente à vivre. Une fois que t'a accédé à ton rêve, il te lâche d'un coup. Bon, qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Tu continue de t'illusionner en maintenant les apparences pour faire croire que t'es un vaillant marin, nomade, baba cool, dans la plus pure tradition Moitessière, et tout, et tout, ou t'es devant ta journée dans un paysage qui est ce qu'il est et t'es comme un con parce que tu ne sais pas comment la commencer cette journée. Tu es comme un con parce que t'as une multitude de choix possibles, plusieurs fois dans la journée, et tu ne sais pas lequel faire. La vraie liberté, c'est ça ! C'est être devant tous les possibles et de n'en prendre qu'un seul pour un temps seulement. Donc de laisser tomber tous les autres. C'est se tromper souvent et réussir quelques fois. Ce n'est pas dans l'immédiat qu'on voit les résultats dans l'âme. C'est au fur et à mesure qu'on ramasse les grains de caviar à la pince à épiler. Au bout d'un moment, ça fait une grosse quantité, celle qu'on convoitait au départ... Tu vois le chemin ?  En fait on goûte vraiment les choses qu'après, quand on se retourne sur le chemin parcouru.
                J'étais bien du choix fait tout à l'heure de rester dans cette anse de Ste Agnès avec moins de touristes et moins de bateaux mais voilà, ça chahute fort et l'inquiétude est de retour. C'est un autre moment à vivre. Le répit « no tourist » a un prix à payer, le mauvais temps qui se lève et la boucaille. Je pense au rythme qui change dans une journée. Je suis comme quand je danse, je suis tout content d'avoir réussi à faire les pas demandés et je ne m'aperçois pas que je ne suis plus dans le rythme.
                Hier, j'ai visité l'île. Il y a des petites maisons basses le long des chemins de terre et personne. Enfin personne de visible, personne à qui parler. Ca m'a fait revivre la communauté de l'Arche et les maisons ouvertes dans un grand calme, les jardins soignés, les labours, signe d'une activité humaine comme à l'Arche, mais les gens, tu ne les vois pas. Tu t'attends à rencontrer quelqu'un pour parler pour dire ta joie d'être parmi eux et tu ne peux pas, t'es devant un vide relationnel, un élan qui ne trouve pas son exutoire naturel. T'es face à toi-même, face à ta propre vie parce que chacun est en train de vivre la sienne de son côté. Et toi, t'as rien prévu, tu ne sais pas comment la vivre la tienne, précisément. Voilà le sentiment éprouvé de nouveau hier comme à mes débuts dans l'Arche. Ca ne dure pas heureusement, je n'en suis plus là,  ce ne sont que des réminiscences.  Je suis beaucoup moins démuni devant ces états d'âme qu'auparavant.

                Samedi 4 août, Ste Agnès, anse « the Conger ». Le temps est beau mais, bordel qu'est-ce qu'on se fait rouler. La houle entre dans l'anse avec la marée. J'ai quitté l'anse d'en face hier à 9 heures du soir, le vent avait forci et tourné sud est.  C'était intenable. Ici, de l'autre côté de l'isthme, il y a moins de vent et de clapot mais un peu de houle. Si bien que vers trois heures du matin, Jaoul m'a réveillé. Il tossait sur le fond de sable. J'ai du quitter pour aller mouiller dans plus d'eau. Rien de palpitant aujourd'hui. J'attends un vent favorable pour aller à Ouessant. Normalement, il devrait y avoir du nord ouest 5 à 6 Beaufort demain. La nuit  promet d'être rock'n roll tellement ça roule. Et demain, je quitte les Scilly même si le vent n'est pas au rendez vous. Envie de faire marcher le bateau.

                Dimanche 5 août, Ste Mary, Port de Hugh Town. J'ai quitté Ste Agnès hier soir vers 10 heures tellement ça roulait et j'avais peur de taper dans le gros « promène-couillons » mouillé pour la nuit sur une tonne juste derrière Jaoul. Je suis arrivé de nuit au Port de Ste Mary sans vraiment voir où j'allais. Il fallait que je m'amarre sur un coffre. Un gars qui m'a vu arriver m'a éclairé un coffre libre.  Et puis « rock'n roll again » pour saisir la bouée. Là, pas de prise au lasso possible, la bouée est cylindrique. Une grosse chaîne pend. Un maillon fait la dimension de la main. Tu la saisis avec la gaffe mais après quand tu veux passer un bout dans le un maillon, tu fais comment ? Parce que, évidement t'as pris la chaîne comme tu pouvais. Alors qu'il faut la prendre par son extrémité pour la hisser suffisamment haut et glisser un bout dedans. Comme t'as pas vu la manip à faire et qu'il est trop tard pour lâcher la bouée parce que tu en as déjà trop chié pour parvenir à la saisir, tu restes cramponné à ta gaffe.  Alors des français qui sont arrivés peu de temps avant moi m'ont aidé. Un gars a sauté dans son annexe pour passer le bout dans le maillon tandis que je restais cramponné à ma gaffe crochée dans la chaîne. Après au matin, un type est venu me réclamer 15 livres, soit 150 balles, pour m'être fait chier à prendre sa merde, et passé la nuit cramponné  à ma couchette pour ne pas tomber tellement ça roule. 
                Hier soir, j'ai commencé à classer les photos sur l'ordi. Mais comme ça roulait dur j'ai du arrêter pour ne pas gerber sur le clavier. Le chiottard du bateau s'est détaché sur un coup de roulis alors que j'étais dessus. Et là, c'est pas mal non plus. Il faut tenir le bazar et pousser en même temps.
                Il est midi et demi. Je vais arrêter là. Parce que, c'est décidé, je pars vers deux heures. Dans une heure trente. Le vent de sud vire au sud ouest et c'est le moment d'en profiter. 20 heures de mer avant Ouessant.






Ouessant  -  Port de Lampaul


         
          Lundi 6 août, Ouessant, baie de Lampaul. Il est neuf heures du soir et je suis crevé. J'ai fait une arrivée sur Ouessant assez merdique. J'ai perdu du temps en piquant sur Ouessant directement. Il aurait fallu que je pique  au sud pour que le courant me porte à l'entrée de la baie.
            Alors je me suis tapé le courant dans le pif pour remonter du Créac'h vers An Nividic et virer la pointe de Pern, endroit qui vu de la mer, fait froid dans le dos quand on voit la houle briser sur les rochers acérés. Et évidemment, c'est pas loin des rochers que ça se met à merder.
            Vent arrière faible et une bôme folle, une trinquette battante, et un foc qui se la joue en solo.
          Un joyeux merdier.
            Des écoutes prises dans les haubans La bôme dans sa folie pète une bastaque. Du travail encore pour ma pomme. Heureusement le moulin qui démarre au quart de tour me sort d'affaire. Et c'est au tour de l'annexe de tenter de se refaire la malle alors que  j'en suis à prendre mes alignements pour entrer dans la baie de Lampaul. La patte d'oie qui la tire est fixée à l'annexe de chaque coté, par un maillon rapide. Le maillon s'est dévissé et le cordage s'est détaché. Heureusement qu'elle tenait encore par l'autre bout de la patte d'oie. Mais quand j'ai regardé une fois mouillé, l'autre maillon rapide était aussi dévissé. Dire que j'ai failli perdre mon annexe pour de bon pendant la traversée ! Frayeur à posteriori.
          Ensuite,  je me bats avec une bouée pendant une demi-heure à tenter de la prendre au lasso et quand j'y parviens, on me dit que c'est  réservé à la SNSM et que 200 bateaux vont arriver.  J'ai plus qu'a déguerpir et je vais mouiller sur ancre plus loin. 
        Le bateau est dans un tel bordel que la matinée va passer à tout ranger… Je m'assois à peine sur une banquette que…  Je m'étais assoupi, je suis réveillé deux heures plus tard par la diffusion du bulletin météo du CROSS Corsen.
                Ce soir, j'ai fait du pain. Là aussi, c'est rock'n roll. La farine t'en fout partout. Ca te colle aux doigts, c'est une horreur ! Et puis, au four, le cul du pain crame et dégage une épaisse fumée noire et une odeur âcre qui n'est pas encore partie, tandis que le dessus du pain n'est pas encore assez cuit. Il y a sûrement une astuce à trouver pour cuire le pain de manière uniforme.
               

Cliquez pour agrandir l'image          Il reste de cette journée, la magnifique traversée depuis les Scilly. Vingt heures de communion totale avec les éléments. Du grand bonheur. Une fois que le bateau est réglé, t'as plus rien à faire. T'as plus qu'à écouter l'eau qui chuinte le long de la coque, le feulement du vent dans les voiles et t'emplir les mirettes des couleurs du couchant, du levant aussi, des miroitements de l'eau sous l'éclat de la lune, te mettre sur le dos et perdre ton regard dans l'immensité du ciel étoilé. J'ai vu une grosse étoile filante. J'ai fait un vœu. J'ai vu aussi un fulmar. C'est un oiseau qu'on ne rencontre qu'en pleine mer. Il ressemble au goéland mais ses ailes sont raides et son bec ressemble à celui de l'albatros. C'est la première fois que je vois cet oiseau.
                Demain, il me faut, encore, réparer mon vélo avant de partir découvrir Ouessant. Je vais me coucher, je tombe de fatigue. 
          Mercredi 8 août. Echoué à quai au Port de Lampaul (photos). Ile d'Ouessant. Hier, j'ai réparé le vélo, mis dans l'annexe, ramé comme un malade jusque dans le Port de Lampaul . Puis j'ai visité la Pointe de Pern depuis le phare du Créac'h jusqu'au phare de Nividic. Impressionnant aussi vu de terre. Mais je sais à quoi j'ai échappé. On ne peut en sortir vivant quand on est drossés sur de tels rochers. D'autant plus qu'il y avait une houle de deux à trois mètres.
          J'ai trouvé la baie de Lampaul austère et j'ai été conquis par son petit port et par son village. J'ai donc pris des repères pour y échouer Jaoul et me voici maintenant à quai. J'ai longtemps hésité à entrer dans ce port minuscule, car j'avais peur de foirer mes manœuvres. L'entrée ne fait que six mètres de large. Ca c'est bien passé et je ne regrette pas. J'ai retrouvé là un vrai plaisir comme celui que j'avais goûté à Isigny sur mer. Jaoul est le plus gros navire du port. Il est le seul voilier. J'aime cette ambiance de port où les gens viennent te faire un brin de causette. J'ai droit aux compliments car beaucoup de personnes trouvent mon bateau joli et me le disent. Ca me fait plaisir.
               
          Hier, j'ai fait quelques bonnes photos et j'ai rencontré une femme qui expose des toiles dans une chapelle sur la lande. Nous avons parlé créativité artistique et c'était intéressant. Aujourd'hui, après avoir attendu que Jaoul soit au sec, je suis allé dans une crêperie qui donne des livres à lire aux clients. Il y avait aussi des toiles exposées. J'ai pu causer avec des gens sympas. J'avoue que je ne regrette pas l'Angleterre ni les Scilly où les paysages sont beaux mais trop de touristes et de mouillages difficiles. C'était une ambiance Riviera. Ici aussi, il y a des touristes, mais cette île a une âme. Il s'y passe des choses sur le plan artistique et littéraire. Par exemple, concours de nouvelles, concours de lettres. Je crois que je trouve là ce que je cherche vraiment depuis trois semaines. Pénétrer par la mer l'intimité d'un pays. Ce que j'avais déjà vécu en Ecosse. Il faudra que je m'en souvienne. J'aimerais faire de même avec St Malo. Y faire relâche pour me rendre au festival « Etonnant voyageur » qui a lieu en Juin de chaque année.  Francisco Coloane y a exposé ses ouvrages ainsi que Sepulveda. Mais je n'ai pas envie de m'y rendre seul.
          Dans le fond du port, quand l'eau se retire, vérotent des bécasseaux, des tournepierres et des gravelots. Tout ce monde s'agite sous le regard vigilant d'une maman cane qui veille sur ses neuf petits en émettant de temps à autre, pour un rappel à l'ordre, un sonore coin-coin. 
          Jeudi 9août. Port de Lampaul. Ce matin, je me suis rendu à la mairie d'Ouessant pour utiliser les sanitaires quand le port est à sec. J'ai rencontré le premier adjoint, un ancien de la Penn Ar Bed, la compagnie de navettes avec le continent. On a bien causé. Il réalise une expo sur Jean Ferrat que j'ai visitée. C'est un ami personnel de Jean Ferrat. Quand j'ai entendu sa voix chanter « ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent… » je me suis mis à chialer d'émotion.
                J'ai fait le tour de l'île à vélo. Il faisait un soleil éclatant. Trop de lumière crue, ce n'est pas bon pour les photos. J'en ai fait quand même : maisons sur la lande, île Keller, etc. J'ai beaucoup aimé Port Darlan : eau cristalline, plage de sable fin, rochers et môle en pierres de granit taillé. J'aurais voulu mouiller devant cette plage magnifique et plonger en apnée pour découvrir tout ce monde sous marin dans les rochers. Mais seul, la chose n'a aucun goût. D'ailleurs, sur les bancs de sable de l'île de St Martin's des Scilly, je me suis baigné. Mais je ne suis pas resté longtemps. Seul, je n'arrive pas à rester dans un endroit longtemps ni faire des activités nautiques et ludiques.
          Demain, je quitte Ouessant. Enfin si je peux. Je dois emprunter le Fromveur pour me rendre à Molène. Et le courant n'attend pas. Entre le moment où Jaoul flottera et le moment de la renverse dans le Fromveur, il y a deux heures. C'est jouable mais c'est très court.
          J'ai toujours présent à l'esprit ce questionnement «  qu'est-ce ce que je viens faire ici, pourquoi le bateau » et  la gestion du temps qui me reste pour retourner au boulot. En effet, après Ouessant et la moitié des vacances parties, je suis sur le chemin du retour. Il n'y a plus de terres lointaines à découvrir.
          A mi-vacances, je peux esquisser déjà quelque chose. J'aime faire marcher un bateau et la solitude ne me pose aucun problème technique et surtout lors de longues traversées. Par contre, c'est à l'escale que je perçois la solitude. Je me sens désoeuvré et je ne sais pas faire les choses pour moi. Je n'y trouve que peu d'intérêt. J'aime l'intimité des petits ports sans plaisanciers. Ils sont rares, évidement. Mais je n'y peux rester longtemps. Je finis par m'y ennuyer. Même si je rencontre des gens, ces rencontres ne nourrissent pas l'âme. Elles sont bien trop convenues. C'est faire avec les gens qui permet de nouer des amitiés, pas de parler avec eux. 

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Molène


          Samedi 11 août, au mouillage devant Molène. Hier, j'ai quitté Lampaul à l'heure dite. J'ai sorti le bateau dès qu'il a eu 20 cms d'eau sous la quille. Sans dérive, il n'est pas manoeuvrant. Je l'ai sorti du port en marche arrière et mis la dérive arrière dès que j'ai eu 80 cms. C'était un peu court et je craignais qu'il ne se mette en travers dans l'entrée de 6 m de large. J'ai du m'y reprendre en plusieurs fois sous le regard amusé des ados de l'école de voile.  Mais j'ai pu arriver à temps dans le Fromveur et profiter de la fin du flot pour parvenir à Molène. Quel fabuleux semis de cailloux que cet archipel de Molène, c'est impressionnant ! Je n'ai pas pu débarquer dans la soirée, pris que j'ai été par le chiottard qui s'est définitivement fait la malle. Obligé de réparer. De dégripper les vis oxydées et de refixer  le dit chiottard sur le plancher des toilettes avec de solides boulons en inox. Ce boulot m'a pris facilement deux heures.
          Ce matin, j'ai débarqué sur l'île avant l'arrivée massive des touristes. C'était fabuleux. Cette île est sympa. C'est un petit village avec d'anciens champs ou jardins clos en murs de pierres. Ca me rappelle mes émotions quand je suis allé dans l'archipel de Glénan. Impressions d'être chez moi. Un chez moi qui sent bon le vent, le silence, le mouvement de l'eau et l'immobilité de la terre. Un chez moi plein de nature sauvage avec ses animaux, ses plantes, son rythme éternel. Un chez moi rêvé, mythique bien sûr, ce chez moi que j'ai vécu dans l'Arche. Ainsi, l'Arche et les Glènans sont en moi et c'est sûrement ça que je viens chercher, un retour à une vie simple loin du monde moderne. Un néolithique juste avant l'invention de la civilisation.
          J'ai visité une expo et je suis tombé sur des gravures splendides de rivages de galets d'algues, d'estrans qui restituent la matière d'une façon puissante. C'est un travail minutieux.

          Dimanche 12 août, île de Molène en mer d'Iroise. J'ai fait des photos de Molène ce matin depuis l'îlot d'en face. J'en suis à 300 photos et quatre recharges de batteries. J'ai commencé à trier et classer mais c'est un sacré boulot. J'ai fait le tour de Molène dans l'autre sens et j'ai senti que je commençais à me faire chier. Voilà, je ne peux pas rester plus d'une journée dans un endroit sans ressentir de l'ennui. Et ce n'est pas une question de solitude. Avec d'autres personnes, la chose serait certes atténuée, mais pas vraiment différente. Quoique, ça dépend avec qui je suis et ce que je fais avec la personne. Mais alors là, je ne suis plus avec ou dans le paysage ou le lieu mais avec la personne dans une discussion intéressante ou dans un faire ensemble intéressant. C'est pas pareil. En tout cas, je hais les vacances au sens étymologique du terme. Je hais les touristes et je m'ennuie quand je fais le touriste. C'est précisément ce que je suis en train de faire. En fait, il y a plein d'îlots déserts autour de Molène et ce qui me plairait, c'est d'aller pique-niquer ou bivouaquer dessus en y allant avec une embarcation légère. Je ne peux pas risquer Jaoul dans ce genre de navigation, il est trop gros.
                En fait, mon plaisir, c'est la découverte. Une fois l'endroit visité, il ne m'intéresse plus. Il me faut aller ailleurs.

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          Demain, je lève l'ancre pour l'île de Batz devant Roscoff. Je ne connais pas. Pendant que je navigue, je ne m'ennuie pas. Le problème, c'est l'escale. Quand je naviguais en équipage, je m'arrangeais pour faire deux escales par jour quand on était rendu à destination. Et ce rythme là marchait bien. En peu de temps, on avait l'impression d'avoir vécu beaucoup. Et là, en trois semaines, j'ai l'impression d'avoir vécu peu de choses. C'est déroutant pour moi, cette affaire-là. En être toujours à plus de cinquante ans à me poser la question de comment ne pas tomber dans l'ennui. C'est dingue ! Glander au boulot, ça ne me gêne absolument pas puisque c'est du temps qui est de toute façon perdu. Mais glander en vacances m'est insupportable.
                Je me doutais bien un peu qu'en achetant un bateau avant la retraite, j'allais entrer dans la catégorie des plaisanciers. C'est une sorte de touriste, si on veut ! Si t'es pas obnubilé par ton joli bateau comme d'autres avec leur moto frime ou leur splendide bagnole, ou leur collection de merdes rares, et bah, t'es comme moi. Et tu ne te reconnais pas dans ces catégories bien que tu y sois quand même. Un touriste en bateau, voilà ce que je suis. C'est pas glorieux, hein ?
                Bon, je ne vais pas quand même balancer le truc. Il faut que je trouve une solution. Je ne peux pas quand même m'envoyer un tour du monde en solitaire sans escale pour satisfaire mon âme ?
                Reste la créativité. Ben là, je suis sec, en ce moment ! Et si la créativité se pratique obligatoirement seul, c'est dans une confrontation avec d'autres personnes dans la même démarche que naît l'inspiration. Enfin, moi, c'est comme ça que ça marche.




Roscoff

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          Mardi 14 août 2007, port de Roscoff. Jaoul fait comme un cerf-volant au bout de sa longe. Il tire des bords au mouillage sous les rafales du coup de vent qui dure depuis hier soir. Il y en a jusqu'à demain midi selon la Météo. Donc je suis bloqué ici encore pour deux nuits. Eh, oui ! C'est un port d'échouage et on ne peut en sortir que pendant quatre heures. Deux pour moi, parce que je vais vers l'est et il faut que je parte avant la marée haute pour bénéficier du courant portant.

                
          Hier a été une journée vraiment sympa où Jaoul a bien marché. Courant et vent portant. J'ai pourtant bricolé pendant trois heures à tenter d'établir le spi. Mais il n'a jamais voulu sortir de sa chaussette. C'est ça qui est chiant avec ces appareillages qui doivent, soi-disant, améliorer l'établissement du spi, ça ne marche pas bien et on est emmerdé plus que si on avait pas ces facilitateurs. J'ai donc renoncé au spi et tenté de mettre le booster. C'est une voile grande comme un génois léger en toile à spi mais double. Elle s'établit avec un tangon sur chaque bord. Le temps que je comprenne comment ça fonctionne et le temps de l'établir, voilà le vent qui forcit rendant obsolète son usage. Beaucoup de travail physique pour rien. Pendant ce temps, Jaoul avalait les milles sous génois inter et grand voile haute barré par Raymond. Hé oui, tous les pilotes automatiques s'appellent Raymond depuis un certain premier ministre sous Giscard  !
          Je n'ai jamais aimé le sport. C'est trop fatiguant pour moi, et je n'y trouve aucun intérêt. Pourtant, mener un bateau, c'est de l'exercice physique. Je suis souvent vanné. Mais, c'est une fatigue saine qui me plait. Je sens jouer mon corps et j'acquiers ainsi plus d'aisance et de résistance aussi. Faut dire que je commence à connaître un peu mieux ce bateau. Je sais mieux le régler et faire les manœuvres à temps pour ne pas me laisser déborder.
        
Cliquez pour agrandir l'image          Donc, aujourd'hui, pas de navigation pour cause de gros temps. Visite de Roscoff sous la pluie. C'est mignon comme patelin ! Plein de touristes évidemment. Je suis allé chez le coiffeur, un petit vieux avec qui j'ai fait un brin de causette. Puis j'ai mangé dans une crêperie. Voilà comment j'ai passé ma journée.
          J'avais prévu d'aller sur l'île de Batz, puis quand je suis passé devant, après avoir fait un tour dans son port, j'ai renoncé préférant Roscoff. L'île de Batz, c'est des villas bretonnes pour gens friqués, c'est tout. Tandis que Roscoff est un port de pêche avec de l'animation.
          Finalement, je préfère des journées venteuses et grises comme aujourd'hui à des journées ensoleillées, sans vent, avec des plages bondées, puant l'huile solaire et les frites merguez.
                La prochaine étape, je ne sais pas encore. Probablement la rivière du Trieux que je connais bien et que j'aimerais revoir. Puis Chausey, Port Bail, et retour à Carentan.




Le Trieux


                Jeudi 16 août, rivière du Trieux, mouillé sur coffre devant Coz Castel, le centre nautique des Glénans. Je me suis réveillé ce matin avec une humeur pourrie, suite à un rêve où M était dedans. Elle était en compagnie de plusieurs personnes dont un homme qui semblait être son compagnon. Elle lui accordait son attention et sa tendresse et moi j'étais figé devant cette scène souffrant d'exclusion, de dépossession. Ensuite son visage devient incertain et une autre femme, inconnue apparaît. L'homme qu'elle aimait était gai, jovial, léger, attentionné, toutes ces qualités que les femmes adorent et que je ne pourrais jamais incarner durablement.
                J'observe avec circonspection les jeux miroitant de mon anima. C'est sûr qu'elle est à l'image de ma mère, l'insatisfaction justifiée par des réflexions bétonnées. « Tu pourrais faire ceci ». Et quand je fais ceci : «  mais non, c'est cela qu'il fallait faire » ; et ainsi de suite. Et maintenant, ne voilà t'il pas qu'elle me suggère qu'elle préfère les hommes comme le mec de M ! C'est un comble ! J'en ai marre de faire la girouette pour tenter de correspondre à ce qu'elle veut de moi. Néanmoins, j'ai décidé de me laisser aller à sa volonté et de m'occuper d'elle. M'occuper de mon âme comme le mec de M s'occupe d'elle.... et l'humeur pourrie disparaît.

                Je suis au mouillage dans le Trieux pour me reposer de la rude journée d'hier. J'ai voulu aller mouiller à Bréhat, mais après avoir visité deux anses minuscules et envahies de centaines de petits bateaux, je ne suis pas senti de jouer à l'éléphant dans le magasin de porcelaines avec un bateau si peu manoeuvrant. Le Trieux, c'est un abri parfait quand ça piaule en mer. Et ça piaulait hier soir à l'approche de Bréhat et dans le chenal du Ferlas. Force huit avec de rafales à 9 Beaufort, pas annoncé par la météo. C'était du délire. Bréhat ne me réussi donc pas. A chaque fois que j'y viens, à son approche, je n'arrive jamais à m'y repérer. Il y a des tourelles et des bouées partout, des rochers partout et du courant comme ce n'est pas possible. Et par-dessus le marché, la visibilité s'est réduite sous un grain et le vent a forci m'obligeant à réduire la toile. Heureusement qu'il y a un bon moulin sur ce bateau, j'ose à peine imaginer si le moteur était tombé subitement en panne. En fait, j'aurais sûrement fait demi tour et passé la nuit en mer en attendant une accalmie… ou  j'aurais été me vautrer sur les cailloux.
Cliquez pour agrandir l'imageJe suis parti hier en fin de matinée de Roscoff. La météo annonçait encore du temps soutenu mais promettant de beaucir un peu. En fait le temps en régime dépressionnaire est incertain. Il y a des rafales et des sautes de vent impromptues. Je ne voulais pas attendre encore à Roscoff d'autant plus qu'ils avaient organisé une foire à je ne sais quoi sur le port pour fêter le 15 août. Et bonjour les  « beaufs » avec haut-parleurs pour raconter des conneries : « Allez, on s'amuse, on s'amuse ! »
                Ca a marché fort dès la sortie du port. 5 à 6, rafales à 7 parois 8 Beaufort au grand largue. Je n'avais mis que le petit génois, pas de grand voile, et dans les surfs j'atteignais parfois dix nœuds. Vent contre courant, la mer était agitée.
Cliquez pour agrandir l'image          Un moment, je suis descendu faire la tambouille et quand je suis remonté, mon sang s'est glacé. L'annexe ! Je ne voyais plus l'annexe derrière. Et les bouts qui la tenaient ? Un bout tenait la patte d'oie. Arraché. L'autre en sécurité tenait la poignée de portage à l'avant. Il la tient toujours, mais seulement la poignée qui s'est arrachée de l'annexe. Pour qu'une annexe de 20 kilos arrache un bout de 8mm de diamètre, il faut deux choses : qu'une vague l'emplisse d'un coup ou qu'un dauphin de six cents kilos se vautre dessus. Je pense plutôt à la vague. Adieu, ma belle annexe toute neuve de plus de huit mille balles ! Elle avait réchappé à ma maladresse dans la rivière anglaise, puis à l'ouverture inopinée des maillons rapides dans la Manche, et là, ce putain de dauphin lui a été fatal. En mer tout se paye cache…
          Ce matin, je viens pour prendre mon pot de confiture d'abricots. Vide. Merde, ou est passé la confiture ? Elle n'était pas loin, étalée dans tout l'équipet poissant le moindre objet. Bonjour le nettoyage. Je prends l'autre pot, de la mirabelle, le couvercle était dévissé. Et oui, j'apprends la dure loi de la mer. Il faut payer son tribut, faire une offrande à St Poséidon sinon des marsouins viennent t'ouvrir des pots de confitures la nuit en loucedé, te piquer ton annexe, décrocher ton ancre pour que tu ailles tranquillement te vautrer sur les rochers. Plus sérieusement, le roulis parvient à faire des choses auxquelles on ne pense pas comme dévisser les pots de confitures. C'est balèze, quand même!
                Mêlés aux infortunes, il y a des moments de grâce comme la contemplation de ces oiseaux facétieux qui eux, sont chez eux dans le coup de vent, et savent te le montrer alors que tu penses être dans du gros temps. Un goéland s'apprête à se poser sur l'eau. Mais avant de le faire, il avance une patte et tâte l'eau. La température ne doit pas lui convenir ou bien l'endroit manque du moelleux qu'il recherche et il s'envole pour ailleurs. Un fou, cet oiseau profilé comme un Concorde, qui décolle de l'eau. Il s'ébroue le croupion et ça fait bouger tout son corps en semblant dire : « Cette eau là, je n'ai rien avoir avec elle ». J'ai ri en pensant à M. Elle fait la même chose quand elle secoue la tête pour ne pas recevoir le baiser que je veux lui donner. Un désir de ne pas être souillé comme cet oiseau semblait le dire.
                Ce n'est pas toutes ces petites fortunes de mer qui m'inquiètent, mais la question qui demeure : quel avenir avec ce bateau et pour quelle navigation ? Je n'ai pas encore trouvé la réponse que je suis venu chercher. Il est clair que la navigation de vacances ne m'intéresse pas. Mais ça, je le savais. A cause de l'obligation de faire les choses dans un temps imparti qui t'oblige à forcer l'allure et prendre des risques. Ce bateau a l'aspect d'une bonbonnière à l'intérieur avec les rideaux roses et le tissu fuchsia uni qui recouvre les banquette, coussins et capitons. Cela révèle l'état d'esprit du couple précédent propriétaire. Il est loin du mien. Et devant le boulot qui m'attend pour maintenir ce bateau en état, j'en suis découragé d'avance. Dans quel but me crèverais-je le cul ? Pour de la navigation de vacances ? Non merci. Et la navigation au long court ? Si navigation au long court veut dire succession d'escales plus où moins intéressantes, je dis non. Si c'est pour aller renifler les odeurs sous le vent d'une colonie de gorfous macaronis, je ne dis pas non. Mais sûrement pas seul. Seul, j'ai moins de goût aux choses. Seul, les escales deviennent une succession de lieux à visiter comme un touriste. C'est nul, je ne veux pas de ça.
                C'est comme la rando. Je m'y suis adonné de belle manière en bivouaquant ça et là. Mais finalement, je n'y ai pas trouvé ce que j'étais venu chercher et que j'avais déjà goûté par le passé. De la rando, je retiens que le mot bivouaquer. J'aime toujours être dans un endroit nouveau, libre, loin du monde et y goûter l'intimité de la nature. Comme dans le bateau, j'aime toujours les grands espaces de l'estran, les grandes étendues marines et les lumières, les couleurs, le vent sur la peau, le vent dans les voiles, le soleil, la pluie et la mer menaçante et belle à la fois. Et quand je suis devant la mer sur une plage, je n'ai qu'une envie, c'est d'aller sur l'eau, ne pas être limité par la fin de la terre. Mais, comment réussir à faire exister ces éléments qui, à moi, me paraissent importants ? Seul, c'est clair, je n'y parviendrais pas. C'est maintenant une chose acquise. Et ce n'est pas faire marcher le bateau seul qui me gêne, non pas du tout. C'est seulement que : seul, on est enfermé dans sa propre problématique et il n'y a personne pour nous en sortir ; seul, c'est fou ce qu'on manque d'imagination. Moi, j'ai besoin de confronter mes vues mes choix aux vues et au choix d'une personne aimée et aimante.





Portbail


                Samedi 18 août, Port-Bail, échoué sur béquilles au ponton visiteurs. Je sors d'un apéro de deux heures passé avec un gars que j'ai aidé à amarrer son bateau. Je me sens bien ici, dans cet endroit que j'ai découvert avec M. J'y suis revenu souvent. Parmi toutes les escales que j'ai faites, c'est celle que je préfère. D'ailleurs, je me suis précipité à la capitainerie pour renouveler ma demande de place de port que j'avais initié l'année dernière. Il souffle un vent à écorner les bœufs. Ca siffle dans les haubans et on entend les drisses claquer le long des mats (pas Jaoul, je n'aime pas le potin que ça fait sur mon bateau), Jaoul tremble sur ses béquilles sous la pression du vent.
Cliquez pour agrandir l'image        Hier, j'ai fait une traversée sans souci. Parti à sept heures du Trieux, j'ai vu Bréhat au soleil levant, c'était grande beauté. Je suis arrivé vers huit heures du soir devant Port-Bail. Il y avait une lumière magnifique. J'ai mouillé pour attendre que le chenal s'emplisse d'eau. Je suis passé devant les Ecréhou et j'ai été charmé devant ces maisons-îles, curiosité à voir et à photographier. Les maisons sont perchées sur des rochers ou bien sont seules juchées en haut d'une plage en forte pente qui les entoure.
        Quand je suis arrivé devant Port-Bail, j'ai su que j'allais vivre quelque chose d'important. Arriver par la mer dans ce chenal que j'ai photographié, parcouru le long à pied et ce havre de toute beauté. En pénétrant dans le havre avec le flot, je me suis fait piéger. Le courant est puissant et pousse le bateau à s'échouer encore et toujours plus haut. Si bien que le piège est qu'à ce régime, le flot te laisse échoué à la plus haute mer si bien que t'es tanqué là pour un bout de temps si tu es en vives eaux. J'ai donc mouillé l'ancre pour enrayer cet entraînement et j'ai attendu que l'eau monte pour déséchouer Jaoul. Puis moteur à fond, j'ai remonté le flot jusqu'à entrer dans le port. Là des gens sympas m'ont aidé à m'amarrer.
        Je n'avais pas mis les béquilles et dans la nuit, Jaoul s'est couché sur le ponton contre lequel il est amarré. Ce matin, dès qu'il s'est mis à flotter, j'ai mis les béquilles. Et c'est mieux pour le confort à bord. On n'est plus obligé de marcher sur les cloisons.
        Ici, curieusement, je ne souffre pas de cet ennui qui me prend à l'escale une fois que j'ai vu à quoi ça ressemble. Depuis ce matin, je n'arrête pas de parler avec les gens du coin qui viennent sur le port. L'ambiance est agréable, comme celle que j'ai rencontrée à Isigny ce printemps. Mais Port-Bail a ma préférence pour son havre magnifique et son débouché sur une zone de navigation riche en destinations de toutes sortes : Anglos Normandes, Chausey, les Minquiers, les Ecréhou et la Bretagne en face.
        J'arrive presque à la fin de mon périple. Cela sera sûrement ma dernière escale, sauf une escale technique à Aurigny ou à Cherbourg, pour attendre la renverse pour franchir le raz Blanchard ou le Raz de Barfleur.
        J'attends Michèle, Fanny et Salomé (ma femme, ma fille et ma petite fille). Je voudrais partager mon plaisir du bateau avec Salomé. La fois dernière, on s'est échoué à la sortie d'Isigny et elle n'a pas pu voir ni sentir le vent et la mer sur un bateau. Mais je crains que cette fois ci, ce ne soit compromis à cause de la météo qui n'est pas très bonne pour les jours à venir. Je voulais aller aux Ecréhou mais il faut du beau temps car on est obligé de passer une nuit sur place à cause du retour à Port Bail qui ne peut se faire la nuit et dont l'accès n'est possible qu'aux alentours de la haute mer.
Mercredi 22 août, au mouillage dans la souille devant le port de Port Bail. Hier, j'ai quitté le ponton visiteurs pour aller mouiller dans la souille au pied de la jetée. Je suis parti à une heure du matin avec 30 cms d'eau sous la quille à marée haute. C'était le dernier carat. Sinon, les coefficients descendaient encore et j'étais au sec jusqu'à samedi. Mais je bosse lundi et Jaoul doit retourner à Carentan.
                On n'a pas pu aller aux Ecréhou ni ailleurs avec le bateau, le temps était trop mauvais. On s'est contenté de faire une virée en voiture à Jobourg et à Goury. Ciel magnifique chargé et bas gonflé comme la panse d'une vache prête à crever. D'ailleurs, elle a crevé noyant toute cette beauté gris bleu avec rais de lumière dans des trous au loin, dans une infâme boucaille sous un déluge de pluie.
                Michèle, Salomé et sa mère sont partis hier. Je suis de nouveau seul. J'apprécie la solitude après le monde mais pendant les premiers temps seulement.
                Port Bail. C'est la meilleure escale de ce périple. J'aimerais y avoir une place pour Jaoul. C'est vraiment l'endroit qui me correspond. J'y ai trouvé un accueil chaleureux. J'ai parlé spontanément avec pas mal de personnes et je me suis fait un ami. Un gars de 48 ans, architecte libéral qui a fondé sa propre agence à Paris avec sa femme. Un homme simple et chaleureux qui navigue sur un petit huit mètre en plastique de trente ans d'age. Je l'ai aidé à s'amarrer au ponton en évitant que son bateau ne s'abîme dessus tant le temps était fort et le courant violent. Il m'a invité pour un pot pour me remercier et de fil en aiguille… Par son truchement, j'ai rencontré les figures de Port Bail dont un type truculent, avec des bacchantes pire que le père d'Achille Talon, un gars qui bosse seul sur les bateaux pour diverses réparations. C'est un puits de science, de combines, de relations sur tout ce qui concerne le voilier. C'est avec lui que j'ai appris qu'il y avait un ami à lui, voilier et réparateur de voiles, à Sotteville, près de Rouen, lieu de mon travail. C'est ce que je cherchais pour faire réparer mon génois.
                Hier, je suis allé sur la grève, à marée basse pour faire des photos. Le temps était gris, mais bon, elles ne sont pas trop mal.
                Mon nouvel ami, Franck, est parti hier matin pour St Malo y accueillir ses filles pour une virée en mer. Je l'ai aidé à préparer son bateau. Moi, je reste encore ici jusqu'à demain soir dernier délai pour disposer d'une fenêtre météo suffisante pour franchir le Raz Blanchard au moteur. Pour l'instant on a du force cinq à six de nord avec rafales. Donc pour le Raz Blanchard, c'est vent dans le pif, donc moteur, et vent contre courant avec du rodéo à la clé. J'attends jeudi soir pour bénéficier d'un peu moins de vent, de nord toujours. Après le raz, je pourrais remettre les voiles. J'ai compté 18 heures de mer pour rallier Carentan. Je partirais donc de nuit vendredi matin vers une heure du matin.
                Tandis que j'écris, Jaoul serpente au bout de sa chaîne, les rafales de vent atteignent parfois force 7, c'est pas très agréable à cause des violents rappels de la chaîne.
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          Vendredi 24 août, Port de Carentan, ponton « N ». Je suis arrivé ce matin au petit jour. Finalement, je suis parti en début d'après-midi, jeudi, de Port Bail plutôt que vers deux heures du matin vendredi. C'est pour bénéficier d'un maximum de conditions de temps qui auraient été moins bonnes douze heures plus tard. Je suis sorti du chenal de Port Bail avec un mètre cinquante d'eau. C'est peu et pas suffisant pour sortir les dérives. Alors, il faut faire attention à la manœuvre. Sans ses dérives, Jaoul est une vraie savonnette. Mais quel plaisir de passer entre les dunes et de voir la plage depuis l'eau, à quelques mètres des rouleaux !
                Dix huit heures de navigation, principalement de nuit, dont douze heures de moteur, pour faire le tour du Cotentin et franchir raz Blanchard et raz de Barfleur. Il fallait torcher pour ne pas rater l'ouverture de l'écluse de Carentan. Je n'aime pas cette navigation tendue que réclame notre vie moderne. Il faut être au boulot à l'heure dite.
                Rentrée sans joie dans un petit matin blafard. Le chenal, long, trop long avec Jaoul trop dur à barrer au moteur. Puis le ponton parmi les bateaux qui n'ont pas bougé dans ce parking. Un bateau pour seulement en profiter que pendant les vacances. Quel gâchis ! Carentan, ce n'est pas la mer, c'est la campagne et je hais la campagne et ses paysages sans caractère, ses promeneurs ordinaires qui longent le canal, pas de personnes qui ont quelque chose à dire Non, rien. Je m'endors de suite jusqu'à midi et dans l'après midi je dormirai encore. A midi j'émerge d'un rêve pourri. Une femme que j'aimais s'installe avec son mec dans un quartier que j'habite et elle organise un repas de quartier. J'y vais et je la vois avec son mec et la famille du mec. Puis devant tout le monde, elle dit à haute voix en me désignant : « Voici cet homme qui continue de m'aimer alors que je l'ai largué ! » Et elle ricane de mon infortune et de mon sentiment blessé. Et moi, je réponds : « Madame, je ne vous connais pas, vous devez certainement vous tromper de personne ! » avec la plus mauvaise foi du monde.
                Cette fois-ci, je reconnais la sorcière, cette part sombre de mon âme, jamais contente, qui se sert du collectif pour me faire perdre de l'estime de soi. Mais, je m'appuie aussi sur le collectif pour m'opposer et ça fonctionne. Sa manoeuvre de déstabilisation échoue.
                C'est le problème de la solitude. On est seul face à nos contenus intérieurs, nos jugements, nos pensées sur nos actes et, sans références, sans rapport avec autrui qui donne la mesure commune et permet de relativiser ce qu'on vit, on leur accorde souvent une importance qu'ils n'ont pas, banals en somme et que chacun peut vivre sans histoire. Le rapport au collectif, ce qui est communément vécu par la plupart des gens, permet d'arrêter les assauts des pensées et humeurs négatives qu'on a sur soi et sur le monde.
                Oui, ce rêve intervient à la fin de mon périple, de ces cinq semaines de navigation en solitaire qui me laissent perplexe sur ce que je dois tirer  pour la suite à donner à ce projet de navigation. Il n'y a peut-être pas de conclusion à tirer. C'est une réponse possible.


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Bonne lecture !

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