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Irlande 2008

Jaoul en Irlande
Kerry  - Connemara  -  Mayo
Croisière en double du 28 juin au 31 juillet 2008

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Le départ

      Carentan le 28 juin. Le téléphone sonne, celui de Pépette puisque j'ai laissé le mien à Michèle pour ses vacances avec Salomé. C'est pour moi. Je suis à la barre de Jaoul, la porte de l'écluse est ouverte. Des bateaux sont dans le sas. L'éclusier n'attend plus que nous pour la fermer…
      — Papa ! Une fuite d'eau dans le jardin. Le regard est plein, une mare d'eau dans le jardin. Plusieurs mètres cubes, comment on fait pour fermer l'eau ?
      D'un coup, une impatience, une crispation ; un poids descend sur mes épaules. Et l'écluse, bordel ! Ils ne peuvent donc pas se débrouiller seuls ?
      — Le premier robinet à la sortie du compteur, côté jardin !
      — Mais c'est sous l'eau ! Attends je te passe le voisin !
      Le télephone hésite, je n'entends plus grand-chose.
      — Peux pas répondre ! Plus de batteries ! J'suis à la barre, on entre dans l'écluse !...
      Plus rien. Je rends le téléphone à Pépette.
      On est sorti du chenal de Carentan. La baie des Veys. Jaoul, vent de travers… Et la fuite dans le jardin, les entreprises à appeler, les travaux à faire, la facture d'eau... Ma douleur du dos, mes épaules mon cou endolori, je ne connaissais plus ça depuis que je navigue de nouveau. Je mesure mon embarras, mon inquiétude qu'avive celle des autres. Des années que ça dure. Les peurs de Michèle, sa panique face aux choses pratiques. Je mesure combien je me suis laissé contaminer, par elle, par les autres, par tout le monde... Ils voulaient tous que je sois présent, que je réponde, que je sache à leur place, que je sois rapide… Et moi, j'ai essayé de répondre, j'ai essayé de comprendre ce qu'ils voulaient, je me suis précipité et j'ai fait sans savoir. J'ai fait sans pouvoir… Je croyais la chose éteinte et voilà qu'elle me poursuit encore. Sur mon bateau, alors que je suis en train de prendre le large. Et si je prends le large, c'est pour quitter ça ; c'est pour dire : « Je ne suis plus là pour personne, je veux vivre enfin pour moi, rien que pour moi. »
      Deux jours plus tard, la pensée de la fuite d'eau  m'accable encore, alors qu'on tire des bords inconfortables en plein milieu de la Manche, un vers Portland Bill, l'autre vers les Anglo-Normandes pour voir sur la carte, que loin de gagner en cap, à cause de la marée nous reculons. Pas loin du bateau feu « Channel », je mets le moteur. Jusqu'au cap Lizard… J'aurais bien continué à tirer des bords, je veux faire l'expérience du temps qu'il fait, d'accepter le temps qu'il fait quitte à rester plusieurs jours sans avancer, quitte à ne jamais parvenir à boucler le programme prévu. Mais non, Pépette ne supportera pas ça. Elle, c'est l'Irlande qui l'intéresse. On verra ça plus tard.

      L'Irlande, c'est le souvenir d'une croisière qui me laissa un peu sur ma faim quand après avoir passé deux jours au mouillage de Kilronan aux Iles d'Aran sans pouvoir débarquer pour cause de gros temps, il avait fallu rendre le bateau à Galway à l'équipage suivant. C'était il y a vingt cinq ans et  dans ma tête, je m'étais fabriqué mes îles d'Aran à moi à force de lectures et j'en avais acquis une vision suffisante pour ne pas éprouver le désir de m'y rendre. C'était sans compter l'arrivée de Jaoul dans ma vie. Alors l'Irlande et plus particulièrement les îles d'Aran pourquoi ne pas y retourner ?


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    Pépette, la Parisienne. Petite femme vigoureuse et appliquée ; voix rauque, usant de raccourcis : « Alors, on la monte la gévé ? » ; accent des faubourgs anglicisant : « C'est ton bote après tout ! »
      Avec Pépette, ça avait commencé par une plaisanterie. Nous étions entrain d'échanger sur le forum du site Internet Hissez-oh et la vignette qui m'identifie, une image de Jaoul avec son œil peint sur l'étrave, avait si bien attiré son attention qu'elle n'avait pas pu résister à la tentation de lui coller un monocle. Et de fil en aiguille, mon envie d'Irlande croisant la sienne, Pépette embarqua.
      Nous fîmes d'abord un galop d'essai échouant Jaoul en Baie de Saire (St Vaast la Hougue) et Pépette fut toute contente de pouvoir faire le tour du bateau à pieds secs et de voir son ventre.




La traversée

Pépette  a fait un excellent reportage de notre virée.
Il s'insère dans la trame de ce récit dont voici la première partie  qui traîte de notre trajet aller et retour.
1 Trajets aller et retour.pdf

Bateau-feu « Seven-stones », le 30 juin au soir.
      On est sous voiles depuis Cap Lizard. Pépette a pris des photos. Elle prend des photos de chaque cap. Parfois, c'est avec son vieux Nikon.
Il est 20 heures, la météo annonce un vent de sud 3 à 5 beauforts sur Ouessant ; Sole : ouest 7 à 8 beauforts ; Fasnet : sud force 7 mollissant six demain ; Shannon : 7à 8 de sud-ouest. Nous, on quitte la zone « Ouessant » pour entrer dans « Fasnet », « Shannon » c'est pour plus tard.
      Pépette et moi, tous les deux, penchés au dessus de la carte des atterrages de la Manche.  J'ai envie de laisser SEVEN STONES à bâbord. Mais je suis bas et il faut remonter un peu pour arrondir le bateau-feu. Je regarde si on peut passer entre les Scilly et le bateau-feu. Des croix signalent les écueils. Des croix ou des étoiles ? Je ne sais pas très bien: croix pour roche dangereuse et toujours submergée ; étoile pour roche qui couvre et découvre ; croix et quatre points pour roche à fleur d'eau au niveau du zéro des cartes.
      J'en parle avec Pépette. On pense que ce sont des roches toujours submergées et que le bateau–feu n'est là que pour séparer le trafic des cargos en deux voies, l'une montante vers le nord, l'autre descendante vers le sud.  Pas de soucis, on passe. J'affiche 300 au pilote automatique,  le nouveau cap, et je monte dans le cockpit pour profiter de la belle lumière ambrée qui descend. Jaoul file cinq noeuds. Soudain un bloc brun vert sort de l'eau avec un bruit de succion à 20 mètres par le travers tribord puis replonge. D'un geste, je débranche le pilote, prends la barre et monte sur le banc du cockpit pour mieux voir. Du ressac par endroit sur des têtes de roches affleurantes. Passer entre. Surtout passer    entre. Et voir tout. Il y en a sept… en principe.  J'ai la peur au ventre. Mon sang reflue.  Impression de m'en aller par le fondement. Pas le temps de penser…
      Les Seven Stones : on est en train de passer en plein milieu.
      Une heure se passe. Plus de brisant suspect. Je confie de nouveau la barre au pilote…
      Détente.
      Je pense à ma connerie. La croisière aurait pu s'arrêter là, Jaoul cabossé, immobile juché sur une tête de roche à la nuit tombante, nous deux seuls parmi l'inquiétant bruit du ressac, loin de toute présence humaine, a entendre tosser, les tôles se froisser jusqu'à l'irruption de la mer dans le carré. Je chasse vite cette vision, elle est insupportable.  J'imagine le dialogue avec le poste de secours : « Allô ? Ben voilà, on est comme deux cons sur un rocher humide, le bateau risque de s'éventrer sous l'effet du ressac… Euh, est-ce que vous pouvez venir nous chercher, siouplait ? »  Déranger les secours pour ma connerie, j'en ai mal à mon orgueil rien que d'y penser.
      En fait je remâche ça depuis une heure : « Comment ai-je pu ? Faut être cinglé pour passer sur des roches affleurantes ! » Le doute : ne jamais engager le bateau avec un doute ! Quel con, mais quel con je fais ! Humilité.  Oui, c'est ça ! L'humilité…
      L'humilité c'est avant qu'il faut l'avoir sinon t'es contraint à l'accepter : d'abord quand tu décroches le combiné pour appeler les secours, puis après devant tout le monde.
      Jaoul est sauf, la mer a pardonné, mais moi,  saurai-je profiter de cette clémence ? La leçon. Retenir la leçon : ne pas oser, ne pas risquer quand on ne sait pas. Ne pas jouer à la roulette russe. S'abstenir, bordel ! S'ABSTENIR !

Fasnet rock au loin sur l'arrière,  le 1er juillet vers trois heures du matin.
      Pépette est dehors, c'est elle qui est aux commandes de Jaoul depuis quatre heures. Je suis dans ma couchette, je ne dors pas. Elle me prévient qu'on est en Irlande. Je tire la plaque de mousse qui obscurcit le hublot. La nuit encore, mais faible. Découpes fines et noires, lignes brisées de la côte piquetées de lumière. Paysage nouveau, là, sur le flanc du bateau. Atmosphère bleutée : bleu argent, bleu nuit, gris bleu. Le phare du Fasnet, sa période, au loin.
      Il s'éloigne.
      Je m'habille pour prendre mon quart.
      L'Irlande déjà. Quel jour on est ? Je ne sais plus. Effort pour me souvenir. Trois jours et quelques pour parvenir jusqu'ici. Mais le jour de la semaine ? Ça n'a d'importance que pour l'ouverture des magasins, alors on verra plus tard.
      On a bien tourné…
 
Cliquez pour agrandir l'image    Après Seven Stones, le vent s'était renforcé. Un ris, puis deux dans la « gévé » et des tours de rouleau dans le « gégène». La traversée commencée au bon plein se poursuit la journée d'après par du travers puis du grand largue. Ciel bleu, soleil magnifique. Mer grosse. Jaoul en milieu de journée se vautre. Troisième ris. Mouvements amples, la houle de travers se glisse sous la coque. Beauté. Journée puissante. Jaoul comme sur un rail file sept nœuds barre amarrée. Je suis content. Les écoutes, on y touche rarement, c'est aux dérives que Jaoul se gouverne. L'aérien du régulateur, un tissu blanc tendu sur un cadre en tubes d'aluminium de fabrication maison, vibre. Il ne sert à rien. C'est l'aérien de petit temps. J'ai oublié de le retirer avant que ça forcisse. C'est un peu tard. Faire l'acrobate dans le balcon arrière, les deux mains occupées à dévisser les boulons qui le tiennent en faisant bien attention de ne pas en laisser tomber un dans l'eau sans avoir un appui sur pour ne pas basculer par dessus bord est un exercice difficile quand le bateau roule. Trop compliqué, je laisse l'aérien accuser les rafales de vent. Il finit par se rompre. A réparer au retour. Je ne saurai pas avant longtemps s'il est efficace et comment bien régler le régulateur. Pour l'instant, Jaoul va bien comme ça, ou avec le pilote électrique.
Cliquez pour agrandir l'image      Je monte prendre mon quart tandis que le jour se lève doucement. C'est drôle de se retrouver dans un nouveau paysage avec le sentiment qu'entre ce paysage-là et celui du départ à Carentan, la baie des Veys, il ne s'est rien passé. Pourtant, il fût attendu. Mais au terme de ces quatre jours de mer, à la faveur de l'écoulement d'heures toutes semblables marquées seulement par le soleil dans sa course, le temps distendu  s'est ramassé. Il y avait Carentan, maintenant c'est l'Irlande, entre temps j'ai du dormir.
      La mer est grosse mais le vent a molli. Pépette n'as pas renvoyé la toile, elle m'attend.
      Je renvoie toute la toile. Sans succès. On ne file plus que trois nœuds.  Pépette pose des questions. Je ne sais pas ce qu'elle veut. Peut être a t'elle peur ? Peur de quoi ?
      — Je trouve que ce n'est pas prudent de ne pas dormir, dit-elle.
      — Je tiens le coup, tu sais ! En Ecosse, j'ai bien tenu une semaine.
      — Tu dors pas.
      — T'as peur ?
      — Mais non, j'ai pas peur, dit elle irritée !
      — On s'arrêtera aux îles d'Aran.
      Elle hausse les épaules. Je vois bien qu'elle fait la gueule.
      — Pépette qu'est-ce que tu veux ?
      Elle ne répond pas.
      — Tu veux qu'on s'arrête ?
      — J'ai rien demandé, moi ! Tu fais comme tu veux.
      — Bon, j'ai entendu ! Pas la peine de faire la gueule, on va se trouver un mouillage pour se reposer.
      Elle poursuit ses réflexions sur moi, ma fatigue, ou quelque chose comme ça, je n'y comprends rien, pourtant je fais des efforts pour savoir ce qu'elle veut. Un froid s'installe entre nous.
      Avant de changer de cap, je regarde la carte, puis le portulans. Les fjords du Kerry sont tous ouverts au sud-ouest. On y entre vent arrière et on en sort vent debout, c'est-à-dire au moteur, car à tirer des bords pour sortir ce sont des journées entières qu'il faut. Sneem Harbour ou Kilmakilloge ? Je ne connais ni l'un ni l'autre. Les deux mouillages sont un peu trop enfoncés dans Kenmare River, West Cove serait mieux : plus près de l'entrée, donc plus facile pour en sortir, mais je connais déjà et je préfère un endroit nouveau à découvrir.
      Je choisi l'anse de Sneem.
Kenmare River, le 1er juillet.
      Voici The Bull (83 mètres de haut), The Cow  (45m) et The Calf  (21m),  trois rochers d'une même famille : des schistes durs soulevés par les mouvements tectoniques et mis sur la tranche. Dans The Bull énorme pavé, une trouée vrai porche de cathédrale par lequel Jaoul pourrait passer. 
Cliquez pour agrandir l'image      The Bull, côtes accores et verticales, rocher  noir trapu garde l'entrée du fjord, dessus un phare flanqué de bâtiments clairs veille. La houle ample se plisse à la remontée des fonds entre les deux plus gros rocs. Là-bas Dursey  Island (250m) et au fond des sommets bleus (600m).  Jaoul fait l'ascenseur sur la vague ronde et creuse. 
    Une nuée de puffins, des macareux moines,  posés sur l'eau s'envolent à notre passage et vont se poser plus loin. Ils volètent maladroitement. Quand ils amerrissent, c'est toujours sur le ventre. Ils sont drôles ces petits êtres. Cette rencontre me réjouit.
      Pépette pêche. Elle est fière de montrer ses prises. Trois maquereaux qui finiront en papillotes.
      La matinée est belle, tandis que nous nous enfonçons dans Kenmare River.
      Bientôt Sherky Island à contourner pour entrer à Sneem.



Sneem harbour - Fenit - Aran

    C'est la fête. Cinq grands dauphins plongent et replongent tandis que Jaoul glisse sur une eau calme et ambrée. Ancré, le ballet continue. Au loin des phoques gris vautrés sur les rochers à fleur d'eau et les dauphins qui jouent. On entend leur souffle puissant et court. Ils se poursuivent, virevoltent et bondissent. Je ne sais plus où donner du regard, Pépette non plus. Il est midi, l'air est calme et le ciel bleu ; au près, des sapins ; au loin les montagnes rases qui ondulent, sommets ornés de cumulus.  Les dauphins disparaissent. Nous les cherchons du regard. Soudain une bête se retourne au moment de passer sous la coque et montre son ventre jauni par la couche d'eau couleur de thé. Poursuite, jeu, facéties, ils jouent comme des gosses. Soudain, l'un d'entre eux, pour épater les copains, part à toute vitesse sur le dos et fait un bond le ventre tourné vers le ciel. Le spectacle m'emplit le cœur d'une joie immense. Il dure. Nous avons faim mais pas question de quitter ces drôles pour aller préparer le repas.  Sur le pont je cours de l'étrave au balcon arrière pour ne pas perdre la moindre occasion de les voir encore mieux.
Une heure et demie après notre arrivée, les grands dauphins s'en vont.
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Il manque dans mon récit, une bonne partie du voyage. Il y a l'échouement à Fenit, la nuit à Kilbaha, la visite des îles d'Aran (Inishmore) qui fût fabuleuse.
Pour complèter, on suivra avec intérêt le récit de Pépette disponible en téléchargement  ci-dessous.
 
02 Sneem Kenmare river lège.pdf
3 Fenit allégé.pdf
04 Inishmore Réduit.pdf

Voici un apercu de l'album photos sur Inishmore. Pour accéder à l'album cliquer sur le bouton [:::] ci-dessous.
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      Je suis à Roundstone au pied des montagnes du Connemara. Le soir offre un spectacle d'une rare beauté, un festival de couleurs allant du rose au bleu foncé en passant par l'orangé, et de subtiles teintes de gris au ciel. Le soleil rasant à cette heure du soir, 9 heures locales, fait éclater la moindre tache de couleur. Ainsi les bouées sur l'eau, les façades des maisons et les coques des bateaux rutilent. Les badauds sont de sortie sur le quai, les terrasses des pubs sont pleines. Le mouillage devant les quais est miroir d'une eau argentée que nul vent n'agite. La voix porte loin, la paix du soir descend sur un fond de montagnes lumineuses que chapeaute un ciel épais et sombre. Des éclats de voix courent jusqu'à Jaoul sur sa bouée un peu à l'écart de l'entrée du petit port. Quand les dernières lumières du paysage s'éteignent, celles des hommes s'allument. Il est 11 heures locales, le temps d'aller dormir pour ceux de Jaoul.
      Nous sommes arrivés là après une journée de moteur. Le vent venait de là où nous voulions aller et de Kinvarra, dans le fond de la baie de Galway, si nous ne voulions pas y rester quelques jours de plus, il n'y avait que cette solution.


Kinvarra

      C'est l'étape que nous avions choisie après Inishmore (Aran) au vu du vent qui ne voulait pas bouger du nord-ouest, nous empêchant d'aller facilement vers le Connemara que nous apercevions au loin. Un trajet fait au portant qui nous donna à voir les collines d'un brun noir très foncé du Burren, désert de pierres. Elles finissent dans la mer par l'à-pic vertigineux des falaises de Moher. On remonta un fjord champêtre dont nous n'avions pas le détail, en prenant soin de ne s'y engager qu'après l'étale de basse mer. Roches affleurantes, pointes rocheuses s'immisçant en douce sous la surface de l'eau faisant des seuils de moins de deux mètres d'eau que Jaoul franchissait dérives hautes et nous l'œil rivé sur le sondeur près à battre en arrière. Au fond, un charmant petit port nous accueillit. Enfin presque. Il était plein de deux vieux gréements, d'un voilier en acier, gros coffre fort de voyage, et d'hétéroclites embarcations. Nous ancrâmes Jaoul devant, eau couleur de thé, deux mètres de fond à basse mer. Force six dans l'axe du fjord, la chaîne se tendait à bloc sous les coups de boutoir, j'ai gréé une patte d'oie pour reprendre la chaîne et amortir les à-coups.
      Le soir au pub, le premier à droite en montant, en coin de rue juste en sortant du port, pièce sombre au plafond bas noirci, garni d'objets qu'on trouvait autrefois sur les navires, ex-voto profanes glanés ici et là au cours de voyages ou de rencontres. Aux murs trois lanternes blafardes permettent de se voir quand même. Guinness au comptoir et sur les tables basses dans les recoins. Pour Pépette qui n'aime pas la bière, c'est un verre de vin et moi, une Smithwick, bière rousse un peu meilleure que la Guinness, que j'ai goûtée à Kilronan. Oui, j'essaie les bières du pays histoire de ne pas mourir idiot et de pouvoir en parler. Mais j'ai beau faire, je demeure un irréductible « détesteur » de bière que les Irlandais friands s'enfilent à pas moins d'une pinte à la fois. Taverne à l'ambiance shangaïée d'autrefois où l'on se réveillait au lendemain d'une beuverie, au large, sous les coups de fouet du maître d'équipage d'un navire de sa Majesté.
      Percées de fenêtres à guillotine à petits carreaux, les façades de maisons fraise écrasée, myrtille, vanille, citron ou pomme verte, ourlent le port d'attrayantes couleurs qu'on n'oserait jamais en France.
05 Kinvarra1.pdf


Roundstone

      Cet après midi 13 juillet. C'en est fini du festival de lumière d'hier soir. On ne voit plus les montagnes et c'est tout juste si on distingue le bout du quai. Le vent vient à présent du sud apportant grisaille et pluie fine. On devait faire une virée en annexe pour explorer le fond du fjord et n'avons rien fait sinon de rester au bateau, Pépette à faire un peu de couture et moi à écrire en écoutant les chansons d'Anne Sylvestre que Pépette avait apportées.
      Demain, de bonne heure, on quitte Roundstone pour Clifden, capitale du Connemara. Pépette est partie avec l'annexe pour boire un coup au pub. Elle adore ça ! Elle dit que c'est dans ces endroits qu'elle rencontre les gens du pays. Moi, je n'apprécie guère les conversations de bistro.
Voici un apercu de l'album photos sur Roundstone. Pour accéder à l'album cliquer sur le bouton [:::] ci-dessous.
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06 Roundstone.pdf



Clifden, Connemara

    Mardi 15 juillet. Hier, Pépette est rentrée à une heure du matin, elle a traîné dans le bateau jusqu'à deux heures. De toutes façon, le matin, c'est moi le premier levé même si je ne me saque que vers onze heures. Nous sommes partis de Roundstone sur le coup de 10 heures dans un crachin qui ne laissait plus rien voir des arrières plans féeriques de la veille. Moteur pour étaler un sud ouest sur le nez, puis, une fois viré Slyne head, la pointe la plus occidentale du Connemara, on a mis les voiles. On se déhalait à trois nœuds et demi vent arrière. Cette allure permis à Pépette de pêcher trois maquereaux.
      La remontée de la baie de Clifden vers la ville est délicate. A ne pratiquer qu'à marée montante tellement le balisage laisse à désirer ou franchement inexistant. Il ne faut pas avoir peur de glisser le bateau entre des goulets étroits avec la roche à trois mètres de chaque bord. Au sortir du dernier goulet, on laisse deux cônes de pierres à bâbord et une roche herbue à tribord, mais en virant à bâbord vers le quai, on tombe sur un troisième cône de pierre. Perplexe, je le laisse à bâbord comme les deux premiers et j'entends les dérives à demi relevées gratter le fond. Il y a un mètre quarante d'eau. Marche arrière. Je demande au badaud sur le quai, c'est un type au troisième étage de sa location qui répond. Il faut laisser la balise de pierre à tribord et passer le long du quai. On accoste, il y a 2m20 à quai et c'est marée haute de mortes eaux.
07 Clifden approches allégé.pdf

    L'endroit est tranquille et je ne regrette pas du tout d'avoir mené Jaoul jusqu'ici. Un petit quai de pierre qui accueille trois bateaux de pêche, le reste est vide. Nous sommes le seul voilier du quai. Un endroit intime avec trois bâtisses dont un hôtel qui donne sur le quai avec une rue qui passe devant. On a amarré Jaoul à des bollards de pierre. Un tuyau cloué sur une planche terminé par un robinet et nous voici avec l'eau courante gratuite à bord. On béquille Jaoul sur tribord. Il reposera sur cette patte-là quand il n'y aura plus d'eau. De l'autre côté Clifden, la ville serrée au bord de l'anse et de son torrent couleur de thé, à cause de la tourbe qu'il traverse en cascadant des montagnes, et se jette au bout de l'anse. Paysage montagnard et marin à la fois, l'alliance des deux surprend.
      Les trois maquereaux de Pépette ont fini en papillotes et puis dans nos estomacs. Mais leur cuisson a posé problème. Le feu a pris dans la cuisinière et une épaisse fumée noire a empli le bateau. Vite, fermer l'arrivée de pétrole, dépressurisé le réservoir ; non Pépette pas l'extincteur, la poudre ça cochonne tout. Ouvrir les capots pour faire dégager la fumée. Un torchon humide. Etouffer les flammes.
      On a sauvé les maquereaux. Délicieux qu'ils étaient sous les papillotes noircies. On a mangé et puis on a tout nettoyé. 

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08 Clifden ville léger.pdf


      Le soleil est de retour. Je suis à présent au bateau à écrire. Des promeneurs sur le quai s'arrêtent. J'entends leur voix, leur accent que je ne saisis pas toujours ; des gens en vacances, calmes et détendus. J'aime sentir vivre l'endroit tandis que je suis dans le bateau occupé à mes petites affaires. Je suis sorti dans le cockpit pour manger un morceau calé par deux coussins, prendre le soleil et goûter à l'air du temps. J'aime être à quai et sentir aller et venir, être chez les hommes avec mon chez moi sur l'eau, être parmi eux avec juste le lien qui me convient : deux cordages de 18 millimètres, l'un à l'avant, l'autre à l'arrière. C'est comme ça que je ressens au mieux la vie qui palpite.
Demain, je retourne en ville. Il me faut trouver un petit cadeau pour Michèle. Pour Salomé, j'ai trouvé deux coquetiers moutons irlandais qui tourne leur tête, chapeautée vert en haut de forme, l'un vers l'autre.



Inishbofin

      L'île de la vache blanche. Vendredi 18 juillet. Je rentre d'une balade de la partie est de l'île. Hier c'était la partie ouest. Au loin les montagnes du Connemara (entre deux passages de bruine). Le couvert des collines est pareil à celui de la haute montagne chez nous. Granit affleurant et couvert de bruyères courtes et touffues. Dans les cuvettes, la sphaigne spongieuse se transforme en tourbe. En ces lieux humides, la linaigrette agite ses toupets dans le vent. Les moutons en liberté, dans un enclos parfois des chevaux à la robe poivre et sel, crinière brun foncé, poneys du Connemara. Dans cette île se côtoient encore les anciens, paysans, bergers et les nouveaux, hôteliers, artistes, gens du tourisme. Partout des maisons en construction et des ruines, des quais neufs et des tas de vieilles ferrailles, des rues qu'on élargit et des épaves de voitures dans les fossés. Le monde ancien, monde de subsistance, bascule progressivement vers un monde moderne propre, riche et aseptisé, comme partout en Europe dans ces derniers endroits de solitude et de beauté que sont les îles. Dans dix ans quand les vieux bergers auront disparus, cette île ne se distinguera plus des autres îles européennes comme les Scilly, Ouessant, Bréhat ou les Baléares : des lieux de villégiatures pour européens stressés voire pour américains, ceux qui sont de souche Irlandaise et qui rachètent les ruines à prix d'or.

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09 Inishbofin lege.pdf



Killary harbour

      Un fjord long, austère, encaissé entre les montagnes. Des cages à saumons tout du long. Des moules en élevage sur cordeaux. Un vent arrière qui nous propulse à bonne vitesse pour entrer et  qu'on ne peut étaler laborieusement au moteur à la sortie.
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10 Killary Leenaumlége.pdf



Westport

      Mardi 22 juillet. Deux nuits que nous passons au quai de Westport, au fond de Clew Bay : une curieuse baie peu profonde saupoudrée de monticules verts avec moutons dessus qu'il faut savamment contourner afin d'accéder au calme repos du quai.

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Le Croagh Patrick domine la baie

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Vue de Clew bay depuis le sommet du Croagh Patrick où St Patrick bâtit son ermitage

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L'entrée de Westport à gauche

Cliquez pour agrandir l'image      Un mètre quatre vingt d'eau minimum à la morte eau deux heures autour de pleine mer dit le portulan. Jaoul, au bas d'eau trempe dans 80 cm d'eau. J'ai mis une bride molle fourrée à l'échelle métallique scellée au quai afin qu'il monte et descende le long du quai en étant tenu. Au bas d'eau, une aussière nouée à un bollard et saisie par le winch du bord opposé au quai, le tient droit sur sa banquette de vase.
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      Pépette est partie en quête d'un pub dès notre arrivée. C'est là qu'elle sent vibrer le coeur de l'Irlande. Chaque soir elle sonde un coeur différent à son grand ravissement. Moi, le coeur, c'est en restant au bateau que je le sens bien : sa palpitation au rythme semi diurne : le plain nous expose à la vue des promeneurs et c'est le temps des bavardages puisque Jaoul par sa simple présence interroge ; le bas d'eau restitue notre intimité avec les lieux.
      La première nuit. Je tiens à être là pour la posée du bateau, deux hérons cancanent dans l'obscurité, voix plus éraillée que celle du canard. L'un s'envole, et silhouette noire au cou en Z, passe devant la lune. L'autre reste à guetter l'alevin. Mais que peut-il guetter à une heure si tardive où le clair de lune ne parvient pas à percer l'encre qui lui coule sur les pattes. Jaoul enfin posé. Heure douce. Un nuage fin, gris et soyeux bande les yeux de la lune, halo de laine. Les campings cars sur la pelouse du quai sont claquemurés. Seul une lueur autour des vitres calfeutrées témoigne de l'intime qui se vit dedans. Pas un souffle de vent. C'est le grand silence de la nuit avant la venue du sommeil. Pourtant, le vent occupe le terrain parfois jusqu'à fort loin dans la nuit. Pourquoi aujourd'hui une si mystérieuse trêve?
      Lu, comme hier matin, un peu du livre de Christian « Sur la piste, du territoire à la pensée ». Je suis enfin parvenu à entrer dedans. Je reconnais des accents qui me sont familiers et ça me plaît. Ca me plaît ce questionnement de l'intime, cette quête du sens à travers un territoire que l'homme semble avoir déserté ou tout simplement relégué.

      Au bas d'eau, de grosses moules en grappes sur les montants de l'échelle, bonnes à manger s'il ne traînait pas en surface une fine couche de gasoil.
      Hier, promenade dans la ville de Westport, à deux kilomètres du port. Photos des boutiques colorées. Cadeaux pour Julie et Fanny.
      Aujourd'hui, lessive, écriture, avitaillement. On attend un vent orienté ouest ou nord-ouest pour redescendre.

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C'est le retour, Pépette est nostalgique!
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Crookhaven - Carentan

      Crookhaven a bien changé depuis ma venue en août 1982. Non pas le paysage, mais sa fréquentation. C'est plein de vacanciers avec des boudins a fort moteur, des voiliers, des écoles de voiles... Je me souviens d'une petite boutique d'objets artisanaux dans une maison peinte en jaune. L'enseigne était amusante: "Annie's and sometimes Tony". Je ne l'ai pas retrouvée... ou plutôt si!  C'est la maison jaune ci-dessous. Mais ce n'est plus la boutique d'Annie et de Tony quelquefois.

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13 de Inishturk a Crookhaven allégé1.pdf

Texte de Pépette sur notre retour

    Le trajet retour, traversee de la mer d'Irlande et un bout de la Manche.
    Au retour, ce fut dans le même ordre, le calme avant la tempête ! Nous avons quitté Crookhaven samedi soir, passé le Fastnet vers 21/22 h, mer plate et vent de SE force 3 maxi. On se traîne sur cette traversée avec un cap plein Est. Pour tromper l'ennui, quelques dauphins nous accompagnent.
    Le lundi, on change de bord pour piquer vers Sud, on dépassera la latitude des Scilly dans la nuit du lundi au mardi. Dans la matinée du mardi faudrait ptèt penser à tourner à gauche pour rentrer...
    Et là le vent repasse Sud puis forcit de l'West.
    A 8h, on met notre clignotant et tout droit sur l'Est, à 20h on est au-dessus des Casquet. L'anémo (en vent apparent) nous indique les montées dépassant 42 kn et le speedo des surfs à plus de 9 kn !
    Nous avons un passager qui profite du “lift”, un pigeon s'est posé sur les panneaux solaires. Il s'y prend à trois fois, car le portique se balance sacrement, la prise est glissante, il finit par s'agripper à la rainure entre les 2 panneaux. On l'avance d'un bout de chemin vers la Belgique ou le Nord de la France, régions de colombophiles. Marrant de retrouver cet oiseau que je n'avais plus revu depuis mon départ de Paris, il fait ballot à coté des oiseaux de mer qui planent autour du bateau.
    Régis me dit  “tu vas voir, on va finir la journée au moteur". Ça m'étonne, le ventilo m'a l'air d'être bien en route.  Et bien si, je prends mon quart vers 3h, on longe Cherbourg, mer belle et légère brise. Puis le souffle s'évanouit, la marée descendante va nous ralentir... alors faut lancer le moteur.
    J'ai tourné trop large à Barfleur, on risque d'être juste pour être au fond de la baie de Seine. Pour couronner le tout, je bouche les WC pour la 1ère fois. On arrive à temps à l'écluse de Carentan, mercredi 30 pour midi. On aura parcouru 1650 miles ces 32 jours, et une pointe de vitesse fut enregistrée à 10,5 kn ! 

On allait grand largue force sept, le cargo remontait.
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